Le Roi des ombres, Ève de Castro
Le Roi des Ombres, Eve de Castro, éditions Pocket, 2014 (première édition 2012), 525 pages
Genre : roman sur fond historique
Thèmes : Versailles, complots, pauvreté, ascension, révélation
L'auteur en quelques mots ...
Née en 1961, Eve de castro fait des études de droit international à Science Po et d'Histoire avant de se consacrer à l'écriture.Scénariste et journaliste, Ève de Castro est critique au “Figaro Littéraire“ depuis 1998. Elle a publié aux Editions Olivier Orban deux essais biographiques : Les Bâtards du Soleil (1987), La Galigaï (1990). Ayez pitié du coeur des hommes (Éditions Jean-Claude Lattès) est son premier roman. Il a reçu le prix des Libraires 1992.
Pour la télévision, elle a coécrit LE ROI DANSE avec Gérard Corbiau ainsi que RASTIGNAC, une série coécrite avec Natalie Carter et réalisée par Alain Tasma.
L'histoire :
Il s'appelle Ange Lacarpe, médecin de son état, et soigne les pauvres comme les riches. D'une patience infinie à ce que l'on dit, il voue un grand respect au petit Charles dont on enterre le père ce matin. Le maitre des lieux n'avait rien de respectable mais chacun s'accorde à prendre en pitié son fils, désormais orphelin. Pourtant Ange Lacarpe s'apprête à révéler bien des secrets à l'enfant de 13 ans. "Le moment est venu".
" A l'attention de Monsieur le comte de Cholay. A lire au coucher, avant de prendre ses gouttes (...)Sachez qu'il est autant de façons de travestir la vérité qu'il en est de la vivre. Sous le masque d'une sincérité que je ne renie pas, je vous ai menti à chacune de nos rencontres"...
Le récit d'Ange Lacarpe revient alors des années en arrière, lorsque Versailles était en construction sous l'égide de Louis XIV, alors que les ombres des obscurs, les petits travailleurs que l'on ne remarque pas, oeuvraient dans les marais, que les bâtisseurs entreprenaient de satisfaire les lubies du roi et que naissaient fontaines et coursives. Car en 1665 Versailles n'est encore rien que de la boue dans laquelle travaillent et meurent ceux qui vont faire de cet espace une merveille. Denis Jolly et François Francine sont les maitres d'oeuvre et cherchent des ouvriers mais aussi des hommes capables de penser un réseau hydraulique. Baptiste est de ceux-là. Le jeune homme vient d'un milieu modeste et son caractère impétueux lui a déjà valu bien des tourments. Mais il séduit par son ingéniosité et parvient à se hisser auprès des bâtisseurs.
Nine, fille d'un barier parisien, se rêve médecin. Mais il est impossible pour une femme d'intégrer la faculté de médecine. Pourtant, à force de tenacité, elle parvient à se grimer et à recevoir ces cours dont elle rêvait. Son apprentissage de perruquière masquera ses facultés hors norme à soulager les maux. C'est pourtant ainsi qu'elle se fera connaitre et entrera dans la cour des grands, se faisant l'alliée indispensable de Monsieur, le frère du Roi.
Un siècle de contradiction qui réserve à nos jeunes personnages bien des déboires et des contre-temps. un siècle de défi dans lequel on peut un jour accéder à la gloire et le lendemain, tomber...
En vrac et au fil des pages ...
J'ai vraiment beaucoup apprécié ce récit. Tout d'abord pour son dynamisme qui correspond me semble-t-il à la frénésie qui agitait ce siècle de tous les possibles. L'écriture d'Eve de Castro, à la fois juste et érudite dans son approche des moeurs du XVII°S, nous donne à voir la naissance d'un lieu mytique français. On est encore loin du faste de Versailles tel qu'on le connait par les reconstitutions qui en ont été faites par les historiens. ici, Louis XIV se révèle à la fois attachant et diabolique, ouvert et sournois. Sa relation à son frère, des plus problématique, est mise en exergue et la partie romancée n'enlève rien au fond historique.
Ce frère justement, révélé dans sa contradiction d'homme qui aime se grimer en femme, qui craint plus que tout la maladie et la vieillesse et a toujours été le favori de sa mère, porte en lui tout le ressentiment de Louis XIV, ce qu'Eve de Castro a bien du traduire dans son roman.
A côté de ce luxe, l'auteur dépeint les petites gens. les travailleurs, les ouvriers et bâtisseurs, les fontainiers, tous ces corps de métier qui oeuvrent pour Versailles. La science est ici employée pour maitriser l'eau, élément si cher au roi et les données techniques nous plongent dans les obstacles qu'ont du surmonter les maitres d'oeuvre pour parvenir à concrétiser les souhaits d'un monarque ambitieux. Pourtant l'ensemble est un véritable chaos et le chantier se révèle à la fois un lieu de mort mais aussi de filouterie où chacun tente de sortir son épingle du jeu. dans ce contexte, le roi-soleil s'efforce de ne pas voir car « la misère le chagrine autant que la laideur, et la maladie autant que le désordre parce qu’à ses yeux, la misère est une laideur, et la maladie un désordre. »
La science est aussi la médecine, ici montrée dans son paradoxe : interdite aux femmes, prônant des conseils plus farfelus les uns que les autres ( comme 'interdiction de bains trop réguliers !) et en constante évolution. C'est Nine qui se fera le vecteurs des nouvelles orientations dans ce domaine. Il fallait effectivement que ce soit une femme, afin de souligner les contradictions de ce siècle. Mais elle paiera cher cette indépendance d'esprit.
Les personnage sont attachants ou diaboliques et l'on suit leur parcours mais aussi leur déchéance, jusqu'à la révélation finale qui n'est pas sans surprendre. L'on retrouve avec plaisir des figures célèbres comme le chevalier de Rohan, Madame Palatine, le valet Bontemps et les favorites.
Un roman à découvrir absolument.