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Les Années, Annie Ernaux, éditions Folio, 2008, 254 pages

Genre : récit autobiographique

Thèmes : enfance, photographie, évolutions, bouleversements, histoire

 

L'auteur en quelques mots ... 

 

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Annie Ernaux est née en 1940 en Normandie. Elle est élevée dans une famille ouvrière et commerçante. Elle poursuit ses études d'abord au lycée, puis à l'université où elle obtient successivement le Capes et l'Agrégation de lettres modernes, accédant peu à peu à la petite bourgeoisie. Elle enseigne au collège puis est nommée professeur au CNTE (qui deviendra le CNED). Elle se marie avec un homme relevant précisément de la petite bourgeoisie avec qui elle a un premier enfant. Elle divorce dans les années 1980. Bien que son oeuvre ne raconte pas sa vie de façon directe ou chronologique, le passage de ces années en fournit la matière. A travers de nombreux ouvrages, Ernaux met en scène ses expériences fondatrices : son ascension sociale (La Honte, 1997 ; La Place, 1983), son adolescence (Ce qu'ils disent ou rien, 1977), son mariage (La femme gelée, 1981), son avortement (L'Événement, 2000), la mort de sa mère (Une femme, 1989) (source littexpress)

 

 

L'histoire :

Les Années comprend plusieurs histoires, plusieurs tranches de vie. Annie Ernaux traverse ainsi 60 ans de vie, de changements politiques et présente avec son regard des thèmes aussi importants que l'émancipation des femmes. De reflexions sur la musique ou le cinéma en souvenirs provoqués par une vieille photo, elle se livre dans une autobiographie qui ne ressemble pas à la forme traditionnelle de cet écrit. Elle n'emploie pas la première personne et c'est pourtant elle qu'elle met en scène dans ce récit qui débute avec son enfance dans l'après guerre et prend fin dans les années 2000. 

On sera surpris par la non-histoire, la vie d'Annie Ernaux ne révélant rien d'extraordinaire, mais sn regard aiguisé nous plonge dans la société qui la vit s'élever socialement, se marier, avoir des enfants. C'est en fait une personne en formation, en évolution constante qu'elle nous présente, avec pour fond des événements sociaux qui ont eu une importance décisive et l'ont accompagnée. C'est à la fois sa mémoire et la mémoire collective qui font de cet écrit un texte original.

Peut-on réellement parler d'autobiographie tant le collectif domine ? Chaque lecteur ayant vécu les mêmes périodes peut se reconnaitre en son récit de vie et ainsi partager avec l'auteur ce que fut la société des années 50 à 2000. En se décrivant à la troisième personne, y compris dans les descriptions de photos qui pourtant lui appartiennent , elle s'éloigne de sa propre vie, prend du recul et propose au lecteur de soumettre cela à son propre regard, son vécu.

Deux photographies ouvrent et ferment le récit : Annie Ernaux enfant et elle-même à 70 ans, une manière de boucler la boucle...

"(1968) On se retournait sur son histoire de femme. On s'apercevait qu'on n'avait pas eu notre compte de liberté sexuelle, créatrice, de tout ce qui existe pour les hommes.(...) Réveillées de la torpeur conjugale, assises par terre sous le poster Une femme sans hommes c'est un poisson sans bicyclette, on reparcourait nos vies, on se sentait capables de quitter mari et enfants, de se délier de tout et d'écrire des choses crues. De retour à la maison, la détermination refroidissait, la culpabilité sourdait. On ne voyait plus comment on pourrait s'y prendre pour se libérer - ni pourquoi. On se persuadait que son homme à soi n'était pas un phallocrate ni un macho. Et l'on hésitait entre les discours - ceux qui prônaient l'égalité des droits entre hommes et femmes, et s'attaquaient à "la loi des pères", ceux qui préféraient valoriser tout ce qui est féminin, les règles, l'allaitement et la préparation de la soupe aux poireaux. Mais pour la première fois, on se représentait sa vie comme une marche vers la liberté, ça changeait beaucoup. Un sentiment de femme était en train de disparaître, celui d'une infériorité naturelle."

 

"(1990) (...) Avec la pilule, elles étaient devenues les maîtresses de la vie, ça ne s'ébruitait pas.

Nous qui avions avorté dans des cuisines, divorcé, qui avions cru que nos efforts pour nous libérer serviraient aux autres, nous étions prises d'une grande fatigue. Nous ne savions plus si la révolution des femmes avait eu lieu. On continuait à voir le sang après cinquante ans. Cette scansion régulière du temps qu'on pouvait maintenir jusqu'à la mort nous rassurait. On portait des jeans et des caleçons, des tee-shirts comme les filles de quinze ans, disions comme elles "mon copain" pour parler de notre amant régulier. A mesure qu'on vieillissait on n'avait plus d'âge."

 

En vrac et au fil des pages ...

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J'avais lu voilà longtemps ce récit d'Annie Ernaux mais souhaitais le relire à l'occasion d'un challenge. Je dois dire que je n'y ai pas forcément vu la même chose : comme il est intéressant de relire ce genre de récit de temps en temps ! Alors que je m'étais attachée au fond historique et sociétal j'ai cette fois pris plaisir à relire avec intérêt les passages consacrés aux descriptions de photographies qui ponctuent régulièrement le texte. Elles se présentent comme une introduction à un changement, physique mais aussi de société. Il est étonnant de constater qu'elle se décrit comme une inconnue, comme si elle occutait tous les souvenirs affectifs liés à ces clichés. Pourtant cela apporte une certaine force au récit. Chacune d'elles est liée à un événement, un bouleversement et propose des repères chronologiques qui jalonnent le récit.

Le lecteur sera peut-être géné par l'absence de ponctuation à certains moments, par la construction des phrases , ce qui fait que lorsqu'on ouvre Les Années on se trouve face à une sorte de liste, un inventaire à la Perec ( je me souviens), d'ailleurs on retrouve le même procédé de mémoire collective avec des slogans publicitaires, des titres de films, des chansons ... et on se laisse emporter par ce qui va se révéler comme un puzzle.

On comprend à la fin comment Annie Ernaux a procédé pour faire de cette autobiographie un objet de mémoire qui traverse le temps et permet à chacun de s'y retrouver : elle est en effet partie de photos à diverses périodes de sa vie et a comblé les vides .

Une écriture originale et une grande valeur littéraire que je convie tout le monde à découvrir.

Et donc petit clin d'oeil à Jérôme qui comprendra pourquoi je lui dédicace ce billet...

 

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