Les années douces, Hiromi Kawakami
Les Années douces, Hiromi Kawakami, éditions picquier, 2005, 284 pages
genre : roman
thèmes : solitude, amour, bonheur, sentiments
L'histoire : Tsukiko va prendre un verre, comme tous les soirs après le travail, dans le troquet de Satoru. Elle revient sur ses souvenirs, sur sa rencontre avec le maître. C'est ainsi qu'elle appelle cet homme, Harutsuna Matsumoto, son ancien professeur de japonais. Commence alors entre eux une relation que l'on a du mal à définir. Ils se découvrent des points communs troublants: les même goûts culinaires, les mêmes centres d'intéret, et peu à peu ils se retrouvent autour d'un verre ou chez le maitre pour parler de tout et de rien, de ses collections, de sa femme qui l'a quitté des années plus tôt. Drôle de relation en effet : le maitre n'hésite pas à la rabrouer, souligner qu'elle ne devait pas trop écouter en classe pour ne pas connaitre telle ou telle chose, la traite parfois comme une enfant. Tout devrait les séparer car le maitre tient aux traditions, aux règles et Tsukiko les transgresse avec bonheur, inconsciemment.Mais la jeune femme ne tient pas compte de ses remarques et voit en lui autre chose, un autre homme que le professeur, une présence "elle s'échappe quand je cherche à la saisir. La croit-on échappée qu'elle se rapproche d'elle-même. Même si nos corps s'étaient unis, meserais-je pour autant emparée de cette présence ?".Tsukiko est une jeune quadragénaire solitaire qui ne souhaite pas s'engager sentimentalement avec un homme. Elle se définit elle-même comme une enfant. Le maitre lui, vit seul depuis que sa femme est partie et vit de petits plaisirs. Ensemble ils vont partager ses petits bonheurs, ces heures qu'ils volent au temps qui passe : une promenade, une visite au musée, une randonnée et vont apprendre à se connaitre et à s'ouvrir à l'autre. Ce n'est que lorsqu'un autre homme va réapparaitre dans la vie de Tsukiko qu'elle va comprendre combien elle est attachée au maitre, combien ce qu'elle prenait pour de l'affection s'est mué en amour. "Est-ce que vraiment je menais jusqu'ici une vie "agréable" de célibataire ?Plaisant.Pénible. Agréable.Doux. Amer.Acide.Irritant.Froid.Chaud.Tiède. Mais enfin, comment ai-je vécu jusqu'à ce jour ? Je n'y suis plus " Mais comment vivre une relation hors norme entre une jeune femme et un homme beaucoup plus âgé ? Ceux qui les entourent portent un regard tantôt attendri, tantôt accusateur sur leur relation. Mais Tsukiko et le maitre préservent une bulle autour d'eux. Lui, si exigeant, si droit va finir par se laisser attendrir par Tsukiko. Elle, va comprendre que sa solitude lui pèse et que la distance qu'elle souhaitait mettre entre le maitre et elle ne rime à rien; "Je suis restée simplement dans ses bras, sans vouloir en bouger, comme si j'avais trouvé ma place déinitive"les sentiments sont là, il faut lui avouer son amour.De retrouvailles en séparations ils vont apprendre à se découvrir, à moins que comme l'insinue le maitre ils ne soient liés depuis plus longtemps selon le" tashô no en"...
En vrac et au fil des pages : ce roman m'a beaucoup touchée. L'histoire est extrêmement simple, faite de rencontres, de retrouvailles entre ces deux là dont on ne sait exactement qu'elle est leur relation. Bien entendu, plane dès le départ un sous entendu, Tsukiko est attirée par le maitre. Mais lui est si distant et si troublant à la fois que l'on ne peut penser qu'une relation amoureuse va se nouer entre eux.
Pourtant lorsque cela arrive, tout a été si minitieusement préparé que cela devient naturel, évident.
C'est un roman léger, envoutant, comme une petite musique. L'auteur nous invite à la table de ses personnages et l'on prend plaisir à leurs conversations mais ausi leurs silences. On ne peut que trouver ce couple attachant avec ses maladresses, ses non dits. Elle, va l'aider à surmonter la séparation d'avec sa femme. Lui, va l'aider à avancer, à comprendre sa relation avec sa mère et, peut-être , à devenir une adulte.
Le fin est émouvante et j'avoue avoir eu les larmes aux yeux en lisant les derniers mots.
Aucun jugement n'est porté sur cette relation, la différence d'âge qui fait que le maitre pourrait parfaitement être le père de Tsukiko, car ce n'est pas important. Ces deux personnages se laissent porter par la vie mais sont aussi en souffrance. L'alcool qui ennivre prend beaucoup de place dans leur vie car permet l'oubli. On ne le comprend pas au début mais la récurrence de ce thème souligne le manque. C'est pourquoi ils se donnent autant l'un à l'autre et finissent par ne plus lutter sontre leurs sentiments. Ils se sont reconnus.
Le roman aborde le thème du deuil, du détachement, d'une façon très douce mais qui montre combien le temps compte pour faire ce chemin. L'écriture est très poétique et simple à la fois. Quelques haikus parsèment le roman, toujours pour exprimer très simplement ce que l'on ressent, ce que l'on voit.
Ce n'est que dans les dernières pasges que l'on comprend tout l'intérêt de ces souvenirs, ces petits moments relatés par Tsukiko, mais je n'en dirai pas plus...
Ce roman existe sous la forme d'un manga que je n'ai pas encore lu mais dont les quelques pages découvertes me semblent bien adaptées.Avec Taniguchi on n'est jamais déçu cela étant !
Le petit plus:Le roman nous livre par ailleurs un aperçu de la culture japonaise, dans ses traditions, sa cuisine, ses valeurs, la différence entre générations. J'ai beaucoup apprécié les rencontres autour de la nourriture, ce lien simple et exquis. De belles descriptions m'ont mis l'eau à la bouche " Comcombres fraichement cueillis, frappés légèrement au couteau, servis avec de la chair de prune confite au sel;Abergines fraiches émincées et passées à la poêle, nappées de sauce de soja parfumées au gingembre (...) rien que des choses qu'on peut manger chez soi, mais le goût prononcé des légumes est totalement différent". Rien de plus simple en effet qu'un "bouillon de poulpe.Après avoir plongé dans l'eau bouillante d'une marmite en terre des lamelles fines et transparentes, on les saisit à l'aide des baguettes au moment où elles font surface. Quelques gouttes de vinaigre suffisent pour faire ressortir leu goût délicieusement sucré qui se mêle dans la bouche à l'acidité, offrant alors une saveur ineffable". Et puis un beau poème, pour clore ce roman, qui dit la souffrance:
" J'ai tant voyagé que ma robe est tout usée
Ma robe que le froid pénètre
Loin si loin de chez moi
le ciel est clair ce soir mais
Comme mon coeur souffre" Irako Seihaku
Je crois que l'on ressort de cette lecture apaisé et ému. C'est en tous cas ce que j'ai ressenti.