Les Belles endormies, Yasunari Kawabata
Les belles endormies, Yasunari Kawabata, Albin Michel, illustrations de Frédéric Clément, 1997, 224 pages
genre :roman
thèmes :érotisme, mort, vieillesse, jeunesse, corps
L'histoire : Eguchi, sur les conseils d'un ami, se rend dans un maison d'un genre particulier qui accueille des vieillard en mal de plaisir. Une auberge un peu particulière car peuplée de jeunes femmes étendues lascivement, qui ne peuvent être éveillée. Sous l'effet de narcotiques elle deviennent les "belles endormies" que l'on peut admirer, caresser, mais avec qui on ne peut aller plus loin. Elles éveillent en Eguchi un mélange de désir et de frustation car il est interdit de passer la frontière.Il passera quelques instants avec elles, une nuit, mais les reverra-t-il ensuite ? Cette réflexion amène Eguchi sur le chemin de son passé, la douleur du temps qui passe, de la vieillesse qui s'installe, le souvenir de sa jeunesse. Il est dans le refus, le déni et ne veut être comparé aux autres vieillards qui fréquentent l'établissement. C'est alors qu'il perçoit en ces femmes endormies son propre sort: la mort. Car c'est bien ce que sont ces quatre jeunes femmes qui se succèdent auprès de lui, un miroir de ce qu'il est, ce qu'il ressent, ce qu'il vit, lui qui considère les autres hommes âgés comme perdus et se pense si différent.Le cheminement d'Eguchi est toujours à mi chemin entre l'amour et le sexe, marchant sur la frontière, fil ténu de l'érotisme.
En vrac et au fil des pages : je ne connaissais pas cet auteur et ne peux donc comparer cette oeuvre à ses autres écrits. Mais le style est léger, sensible et profond en même temps. Il nous convie à une reflexion sur le temps, la vieillesse, la mort, dans une atmosphère érotique que l'on n'attendrait pas pour ce type de sujet.
J'ai eu la chance de découvrir ce roman sous une forme originale et très belle. Car c'est avant tout par l'objet que j'ai été attirée. Le roman est en effet enfermé dans un coffret, sorte de tryptique qui dévoile d'un côté les pages du récit et de l'autre un livret de photos prises par Frédéric Clément, "Le cahier d'Ayako" qui complète à merveille le livre. Un petit ruban de soie noue le tout et invite donc, dès le départ, à un geste éminemment érotique. Les photos sont belles, simples, en noir et blanc.
Le récit est lui même ponctué d'illustrations plus travaillées, sortes de collages, de superpositions, ou çà et là de feuilles et fleurs séchées.
La mort est présente tout le long, jusqu'à l'ultime page, ce qui rend le récit étrange. Ces jeunes femmes que l'on dit endormies ne sont-elles pas mortes ? C'est la question que l'on se pose. Aussitôt j'ai pensé à La Mort d'Ophélie de John Everett Millais et ce constraste entre le sublime et la mort. Le sommeil lui-même préfigure la mort.Aussi on est bien loin d'un récit qui pourrait paraitre glauque ou malsain. Bien au contraire c'est à une réflexion sur l'existence que nous sommes paradoxalement conviés.
J'ai trouvé la fin brutale mais somme toute logique. C'est un récit surprenant auquel je ne m'attendait pas, une découverte sympathique et troublante.