Les Contes de la lune, Elisabeth Delaigle
Les Contes de la Lune, Elisabeth Delaigle, Editions Persée,2012, 94 pages
Genre : recueil de contes illustrés par Christiane Moreau
Thèmes :respect, parcours initiatique, animaux, rêve, imagination, légendes
Le recueil est composé de sept contes autour de la thématique lunaire.Quel enfant n'a pas rêvé d'atteindre la lune, si belle, si ronde ? C'est ce que nous rapportent ces contes, chacun à sa manière. La lune maternelle, bienveillante ou dotée de pouvoir magiques, élément de sortilèges, fait rêver autant qu'elle effraie et l'imaginaire n'a pas de limite lorsqu'il s'agit de parler d'elle. Mais elle est aussi liée aux saisons, à l'agriculture et les anciens savaient l'écouter et se servir de sa forme changeante pour s'assurer de meilleures récoltes ou rythmer leur vie. C'est avec humour et tendresse qu'Elisabeth Delaigle emprunte aux croyances et contes populaires pour que le lecteur lève les yeux vers la lune.
Le buveur de Lune nous entraine au coeur d'une tribu indienne d'Amérique du Nord. Tous vivent en harmonie avec la nature, pêchant, chassant, selon leurs besoin, dans le respect de leur environnement. Chayton, le chef de clan, apprend à ses enfants, Waban et Nokomis, à vivre dans le respect de ces valeurs ancestrales. Or, un jour, Waban et son père découvrent un aiglon tombé du nid. L'aigle étant un oiseau sacré, ils le recueillent et le confient aux soin du chamane. Désormais, et jusqu'à sa guérison, le jeune garçon sera le protecteur de l'oisillon. Se noue entre eux une amitié sincère. Mais le temps fait son oeuvre et l'aigle doit apprendre à vivre indépendamment des hommes et "boire le halo de la lune pleine pour y recueillir la force de vie". " Bien des générations après celle de Waban, les anciens raconteraient toujours l'histoire de Paco, le buveur de lune ...".
En vrac et au fil des pages : voici un joli conte intiatique à travers lequel on découvre des paroles de sagesse qui aident à grandir. Initiatique car on peut le lire aussi comme le parcours de l'enfant qui grandit, prend son indépendance et devient un homme à part entière. Nul doute que chaque enfant y trouvera un sens : respect de la nature, harmonie avec les animaux, halte au gaspillage, apprentissage de la vie. Il offre par ailleurs une jolie découverte des peuples indiens d'Amérique du Nord.
La Fileuse de Lune : "Il était une fois une princesse...". Ainsi débute ce conte qui nous présente une jeune fille choyée , aimée, talentueuse dont l'imagination débordante lui permet de vivre dans ses rêves, bien au-delà des portes du Palais, jusqu'à cette forêt à la fois effrayante et attirante qui borde le royaume. A l'aube de ses seize ans, ses parents souhaitèrent la marier, mais elle leur fit comprendre qu'elle était bien trop jeune et souhaitait attendre. Sa vie dans le Palais lui convenait, faite de douceurs et d'attention et, malgré quelques interdits comme la forêt bien entendu et cette tour sombre qu'elle apercevait sur un côté du chateau, elle était libre bien que surveillée de près. A dix huit ans, pourtant, poussée par la curiosité, "elle poussa la lourde porte en bois qui grinça d'une façon lugubre "...
En vrac et au fil des pages : reprenant de célèbres contes, cette histoire nous fait revivre les interdits de La Barbe bleue, la relation mortifère de la princesse Raiponce aux longs cheveux à la sorcière qui rajeunit à son contact et , bien entendu, l'amour d'un prince qui, tel le beau chevalier de la Belle au bois dormant ou Blanche Neige, conjure le mauvais sort. On retrouve d'ailleurs la quenouille de la Belle aux bois dormant.L'originalité porte sur le pouvoir lunaire , à la fois maléfique et bienveillant, qui condamne la princesse à voir ses cheveux pousser indéfiniment , devenant " la fileuse de lune" dont tous parlent dans le royaume.
Ce conte m'a paru moins original et porteur que le premier. J'ai regretté les références trop nombreuses à nos contes populaires et aux dernières adaptations cinématographiques qui font que l'on ne parvient pas à s'approprier l'histoire , des images venant interférer avec l'imaginaire du lecteur.
Les croqueuses de Lune : Dans le vieux château d'une aristocrates, vivait une colonie de souris. Parmi elles, Mila attendait son "rat charmant". Mais c'était sans compter sur Betty Boop, souris de laboratoire au pelage attrayant qui faisait des ravages parmi les souriceaux. Dans cette communauté, tous avaient un caractère bien particulier et cohabitaient " avec plus ou moins de bonheur comme dans les familles ordinaires". Grâce à Lilly Marinette, les souris avaient appris à récupérer le fromage des tapettes sans se faire prendre. De plus, rusé comme des rats, ils organisaient des expéditions nocturnes afin de cambrioler les placards de la vieille dame,
assurant ainsi de quoi subsister à la colonie. Pourtant, un jour, le fromage vint à manquer dans les tapettes, les placards désespérement vides et le silence de la maison ne laissaient rien présager de bon. "Les souris réalisèrent qu'elles étaient abandonnées à leur triste sort". Un conseil de guerre s'imposait, que faire ? Après plusieurs jours de disette, la lune leur apparut alors commeun délicieux fromage ...
En vrac et au fil des pages : voici un conte narré avec beaucoup d'humour. J'ai beaucoup apprécié les jeux de mots qui donnent aux souris l' équivalent de nos habitudes humaines, puis les petits clins d'oeil à des lectures comme les Fables de La Fontaine: "Il y avait souvent des copains et des copines de passage qui, depuis que Monsieur de la Fontaine leur en avait donné l'idée, venaient de la ville pour quelques jours de vacances". Original et distrayant !
Le boxeur de Lune : Ben a échoué dans ce port, repaire de "marins en perdition" ou "d'aventuriers dans le sou". originaire d'Amérique du Sud il s'est embarqué à seize ans pour fuir la misère de son pays. Pourtant rien de mieux ne l'attendait ici et trouver du travail ou de quoi se nourrir relevait du défi. Souvent, il pensait à sa famille, sa mère mais préférait ne pas s'abandonner à ses souvenirs. Un soir, alors qu'il errait, seul, il découvrit un étrange manège. Sur un ring improvisé sous la lune, luttaient des boxeurs en combat singulier, menés par un homme "vêtu d'un costume clair et d'un chapeau à larges bords". Tout cela "avait des airs de Madison Square Garden à New York où se dérouleitn les plus grands combats". Ce spectacle lui rappela les combats de boxe vus avec son père. Mais ceux-ci étaient illégaux et la foule fut aussitôt dispersée par la police. Pourtant, Ben était fasciné par ce qu'il venait de voir et entrepris de se lancer dans la boxe. Sur les conseils de Stew il rencontra Battling Joe, entraineur dans une salle de la ville. Rapidement Ben sut se faire apprécier et restait attentif aux conseils prodigués. "Il avait trouvé une famille et un endroit où il se sentait enfin chez lui" et même si Joe ne lui apprenait pas encore les rudiments de la boxe, il se montrait serviable et appréciait cette hospitalité. S'entrainant à la tombée de la nuit, il devint "le Boxeur de Lune"
En vrac et au fil des pages : cette histoire émouvante qui nous transporte dans un univers semblable au New York des années 30, est pour moi plus une nouvelle qu'un conte. La thématique lunaire est présente mais souligne la fraicheur du récit et lui donne un côté poétique. La sensibilité qui se dégage et l'écriture en font un récit destiné à de jeunes adolescents. Ce conte est mon coup de coeur !
La Voleuse de Lune : "Dans un hôtel particulier des beaux quartiers vit Beauchat, le persan de madame Eléonore, duchesse d'Arcoët". Dormir, boire, manger, Beauchat mène une vie de pacha. Le jour de ses dix ans, Miss Tiptap la gouvernante glousse de plaisir à l'idée du cadeau qu'elle va lui offrir. Beauchat imagine alors toutes sortes de mets ou de . parures qui le raviraient. Cependant que l'on s'égosille "Joyeux anniversaire, Joyeux anniversaire !" Beauchat aperçoit son cadeau : un chat ! Que dire un chat, une "gourgandine" qui "minaude en lançant des mieou provocants" ! La belle s'appelle Miette et met tout en oeuvre pour se faire aimer. Mais Beauchat ne l(ented pas de cette oreille et profite de sa naiveté pour la défier. Miette saura-t-elle décrocher la lune ?
En vrac et au fil des pages : voici un chat digne des aristochats ! Mais l'histoire est vite expédiée me semble-t-il et notre gros matou moqueur devient bien vite un félin attendri. J'aurais aimé une fin plus pîquante, moins fleur bleue. Mais c'est une histoire de goût !
Les chasseurs de Lune : au temps ou le Petit oucet et ses frères s'étaient perdus dans la fôret, vivait une autre famille à l'orée d'un bois. Ils avaient deux fils, Pierre et Paul et vivaient de ce que leur rapportaient leurs animaux et leurs terres. La mère travaillait de temps en temps pour la marquise qui avait elle -même une fille, Rosine. C'est ainsi que les trois enfants furent élevés ensemble, presque comme frères et soeurs. La petite avait failli moourir étant plus jeune, c'est pourquoi elle était choyée et en profitait pour mener les garçons par le bout du nez.. Les jumeaux profitèrent de l'éducation de Miss Potter. Des deux, Paul était celui qui aimait le plus lire et trouvait dans la bibliothèque du marquis, de quoi enrichir son imagination, "Il était tour à tour le Roi Arthur ou Lancelot, Robin des bois ou Guillaume Tell, Don Quichotte ...". Son frère, lui, préférait de loin la compagnie de son père chasseur. Tous vivaient , comme on le faisait autrefois, au rythme de la lune. La pleine lune, avec son lot de sortilèges et légendes, attirait les jeunes gens. Aussi, pour les beaux yeux de Rosine, Pierre et Paul entreprirent-ils d'aller chasser la lune...
En vrac et au fil des pages : là encore ce conte nous invite à discuter avec les enfants de ce qu'il est convenable de faire ou ce qui relève de l'imaginaire. Pourtant la fin laisse flotter un élément fantastique que les enfants apprécieront car on n'aime rien moins que les légendes qui tombent à l'eau n'est-ce pas ? Il faut entretenir le rêve, c'est ce que fait ce conte dans lequel les enfants n'ont peur de rien...ou presque !
Le Pêcheur de Lune : ce conte nous entraine au coeur du canada, dans les Rocheuses, repaire d'animaux sauvages et majestueux. C'est là que vit Mayak, ourson grizzli, près du lac Emeraude. Les grizzli sont des ours solitaires, aussi l'ourson doit-il apprendre très tôt les rudiments d'une vie de chasse, de pêche et de cueillette, l'attitude à tenir face aux dangers. Lors d'une séance de pêche Mayak aperçoit un rond d'or au fond de l'eau. sans doute sa maman n'at-elle jamais rien vu de tel. S'il pouvait le pêcher , cela la rendrait fière. Mais "ce drôle de poisson rond est insaisissable"...
En vrac et au fil des pages : une petite histoire bien mignonne pour les plus petits. Attendrissante, elle m'a rappelé quelques réflexions de mes enfants qui prenaient tout au pied de la lettre et auraient bien pu ,eux aussi, s'évertuer à pêcher la lune !
C'est un joli recueil que Les contes de la lune. Si je devais émettre une petite réserve, il me semble que sont regroupés des contes qui ne s'adressent pas au même public car ne revêtent pas la même difficulté de lecture. De même les thèmes abordés conviennent tantôt à de jeunes enfants, tantôt à des pré-adolescents. Le fait que se mêlent des récits réalistes comme Le Boxeur de lune et des récits animaliers ajoute à la complexité.
Néanmoins chacun est bien écrit et la dimension poétique apporte une touche personnelle intéressante. Elisabeth Delaigle aime visiblement jouer avec les mots.J'ai particulièrement apprécié l'humour du conte Les croqueuses de lune, la sensibilité du Boxeur de Lune et la sagesse et le message véhiculés par Le Buveur de lune.
Je dois dire que ces récits m'ont transportée en enfance, alors que , comme tous les enfants du monde, je m'émerveillais de la blancheur de cet astre. Mon papa m'a toujours dit que le soir je ne pouvais me coucher sans qu'il m'ait amenée voir la lune ! Aujourd'hui encore je suis fascinée, comme mes enfants qui s'amusent à y voir un visage ou de petites formes: "Mais si maman, je t'assure que j'ai vu une forme marcher sur la lune !"
A lire en famille, chacun trouvera le récit qui le touche le plus...
Le petit plus : même s'ils sont clairsemés ( un par conte je crois) les dessins de Christiane Moreau complètent à merveille ce recueil. Le coup de pinceau apporte une touche de légèreté.
L'auteur en quelques mots ...
Elisabeth Delaigle a eu la gentillesse de répondre à quelques questions après ma lecture du recueil. Elle apporte dans cet entretien un éclairage sur certains aspects de ma lecture.
A la lecture des Contes de la lune on sent clairement l'influence des contes de notre jeunesse.Quels sont ceux qui vous ont le plus marquée ?
Les Contes de Perrault bien évidemment, les contes de Grimm et beaucoup d'autres dont je ne me souviens plus les titres ...
Mais pour répondre à la référence à Raiponce pour La Fileuse de lune, je n'ai jamais lu ce conte, ni vu le film et mon texte était écrit bien avant sa sortie. Visiblement les personnages de princesse se rejoignent.
Les histoires que vous écrivez étaient-elles destinées à être publiées ou évriviez-vous jusqu'à présent pour des enfants de votre entourage ?
J'ai commencé à écrire des contes à l'adolescence. Puis j'ai repris il y a une bonne dizaine d'années pour le plaisir, car je n'ai pas d'enfant. Ce sont des amies ,qui aiment ce que j'écris, qui m'ont encouragée à publier.
Dans Le Buveur de lune on découvre toute une dimension liée au respect de la nature. Est-ce un thème qui vous tient à coeur ?
Oui bien sûr. Mais ce conte est surtout un hommage aux indiens d'Amérique du nord dont la civilisation m'a toujours fascinée.
Pourquoi avoir mêlé des écrits si différents (récits réalistes, récits animaliers), voire s'adressant à des publics différents, dans un même recueil ?
Je dois dire que j'écris vraiment à l'inspiration, sans me poser de questions sur le public qui pourrait lire les contes. Au départ ce sont des textes unitaires destinés à être illustrés. C'est la thématique de la lune qui m'a conduite au recueil.Après avoir écrit Le Pêcheur de lune et La Voleuse de lune, j'ai cherché des titres dans le même esprit et seulement après les personnages; Le Boxeur de lune a d'ailleurs failli être un kangourou !
Voilà pourquoi les humains se mêlent aux animaux et je ne pense pas que cela soit dérangeant.Chaque conte vit sa vie indépendamment. Ils sont plus ou moins longs, plus ou moins drôles ou romantiques ou dramatiques. Ils ne rentrent pas dans des cases. Seule la lune les réunit. C'est peut-être cela qui fait leur différence.
L'écriture est-elle une passion dont vous aimeriez vivre pleinement ? Si oui, écrivez-vous seulement pour les enfants ?
Oui, j'aurais aimé vivre de l'écriture, mais il aurait fallu que je me lance beaucoup plus tôt.Pour l'instant je n'écris que pour les enfants car c'est là que me pousse mon inspiration.
Avez-vous envisagé d'écrire un roman jeunesse ?
Oui j'aimerais écrire un roman jeunesse mais j'ai du mal à écrire sur la longueur. Cela viendra peut-être.
Merci à Elisabeth Delaigle de m'avoir contactée et conviée à lire son recueil de contes.
On peut encourager Elisabeth Delaigle à poursuivre son travail, ICI !