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  Lorsque j'étais une oeuvre d'art, Eric Emmanuel Schmitt, 2002, Editions Albin Michel,288 pages

Thèmes :art, société,image de soi,progrès scientifique, mythes

                                                 Genre : roman

 

 

  

L'histoire : Tazio Adam,20 ans, en proie au désespoir, lassé de n'être personne, envisage de se suicider du haut d'une falaise. Ce n'est pas la première fois qu'il souhaite en finir avec une vie dont il ne veut plus et qui ne lui a rien apporté."J'ai tours raté mes suicides. J'ai toujours tout raté, pour être exact, ma vie comme mes suicides". Mais ce soir là, tapi dans l'ombre, un homme l'observe et lui propose un marché."Je ne vous demande que vingt-quatre heures.Donnez-les moi.Si je n'arrive pas à vous convaincre de vivre, demain, ici, à la même heure, mon chauffeur vous ramènera et vous vous suiciderez". Dans un dernier espoir d'être enfin reconnu et aimé, Tazio accepte et s'en remet totalement à lui. Par une série de transformations, le Maitre Zeus Peter Lama fait de lui une oeuvre d'art, admirée de tous, objet de toutes les convoitises. Devenu Adam Bis, le héros d'E.E.Schmitt profite dans un premier temps de sa nouvelle et inespérée célébrité et se livre corps et âme à celui qu'il nomme son" Bienfaiteur". Cependant il prend peu à peu conscience de sa condition :on lui demande de ne plus penser, d'ailleurs on ne demande pas à une oeuvre d'art de penser mais juste d'être là et, éventuellement, de donner à réfléchir.Réduit à l'état d'objet, vendu, acheté, Tazio/Adam perd son identité. Confronté à l'ego surdimensionné du maitre, Adam Bis se retrouve isolé sur une ile où il rencontre deux personnages qui le voient tel qu'il est à l'intérieur et vont lui permettre de s'accepter. Peu à peu l'oeuvre d'art tombe en décrépitude, l'homme reprend le dessus sur l'objet. Mais pour quelle vie à présent ?

 

En vrac et au fil des pages : Lorsque j'étais une oeuvre d'art est l'histoire d'un chef d'oeuvre raté. Eric Emmanuel Shmitt propose ici une réflexion sur l'art et ce qu'en fait la société moderne. La dictature de l'apparence nous frappe de plein fouet dans ce roman aux saveurs amères où chacun nie sa personnalité pour endosser un masque.Mais bien d'autres thèmes parcourent l'oeuvre:

 

La fratrie est au coeur du roman et pas seulement comme thème secondaire. Les frères Firelli font l'objet d'une description très subjective du narrateur qui voit en eux tout ce qu'il n'est pas ( la beauté, la célébrité, l'attraction de tous les regards) mais en vient à leur prêter une arrogance et une indifférence dont il ne font pas preuve au fond. Le cheminement du héros est aussi une prise de conscience de tout ce qu'il avait et n'a pas su voir. Ainsi des retrouvailles avec son père, alors qu'il s'aprêtait à lui révéler son existence : "A cet instant-là, j'aurais voulu être dans le cercueil où j'étais censé me trouver. J'apercevais à quel point mon égoisme m'avait poussé à des attitudes extrêmezs dans le passé, sans aucun souci des êtres qui m'aimaient et que j'aimais". Trouver sa place dans la société comme dans la fratrie, passe par la connaissance de l'autre et de soi. Adam l'apprend à ses dépens.

 

La place de la femme dans l'oeuvre donne à réfléchir en même temps qu'elle choque. Reléguée à l'état d'objet sexuel, de pôle d'attraction ou de potiche, elle ne pense pas. Comme Adam Bis elle est instrumentalisée ou devient elle-même oeuvre d'art mais se perd à trop vouloir changer d'apparence pour ne pas lasser. Peut-être ausi est-ce pour mieux mettre en valeur une autre femme, Fiona, qui par son amour sauvera Adam. Elle apparait dans un contrepoint avec la superficialité des autres personnages féminins, ce qui la rend profondément humaine et justifie la fin du roman.

 

Une réflexion sur les progrès scientifiques, génétiques : ici les manipulations sont extérieures mais l'on ne peut s'empêcher de penser à une autre forme de sélection de détails physiques, l'eugénisme, les manipulations génétiques, la chirurgie esthétique. L'auteur évoque même la cryogénisation. Tel un doteur Moreau sur son île Zeus Peter Lama a engagé un savant fou qui l'ade à mettre en oeuvre ses projets. Effrayant mais pas si éloigné de nous finalement.

 

Les mythes revisités : Zeus Peter Lama, tel un Promethée moderne, s'élève au rang de créateur. Mais son art ne peut qu'être éphémère dans ce cas puisqu'il n'a su toucher à l'être profond, à l'âme de Tazio Adam. La dégradation physique de son oeuvre, envisagée comme un corps en décomposition, en dit long sur la morale énoncée implicitement par E.E.Schmitt. A se prendre pour Dieu ...Evidemment les références sautent aux yeux, un peu trop voyantes sans doute : Zeus et sa toute puissance, Adam le premier homme... c'est pour mieux dénoncer mon enfant !

 

La toute puissance de cet homme apparait dès les premières pages lorsqu'il propose à Tazio Adam un pacte dans lequel on retrouve tout le mythe de Faust. On pourrait aussi y voir pygmalion, admiratif devant sa création qui prend vie. Les références mythyques ne manquent pas, commen autant de mises en garde.

 

Et le public dans tout ça ? Utilisé, manipulé par l'artiste, est-il réellement objectif ? Zeus Peter Lama guide les esprits et E.E Schmitt dénonce l'aveuglement des hommes, la mégalomanie, le culte de la richesse et de l'excès, la société des apparences. Le public adule autant qu'il rejette, au gré des nouveaux courants et de sa capacité à s'intéresser à l'art.

 

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