Love song, Nikki Gemmell
Love song , Nikki Gemmell, éditions Belfond, 2001, 327 pages
Genre : roman
Thèmes : amour, solitude, liens familiaux, vie communautaire, Londres, Australie
L'histoire : "Je ne me rappelle presque rien du jour où on m'a volé mon univers. Il faisait froid, ça oui, tellement froid que près de la maison une grosse pierre s'était fendue jusqu'au coeur. Mais c'est à peu près tout. Nous préférons oublier certaines choses, d'autres nous sont arrachées (...)". Lillie parle au petit être qui grandit dans son ventre et entreprend de lui raconter sa vie, de son enfance à sa vie de femme adulte. Elle le fait sereinement, patiemment, comme pour expliquer à cet enfant qu'il est le fruit d'un amour intense, sublime. Comme pour se convaincre aussi que désormais cet enfant sera son seul univers.
Enfant Lillie vit en Australie , à Sunshine, au sein d'une communauté recluse, à la manière des Amish. On la perçoit différente, en marge des autres vies, des autres enfants. "Notre maison avait une bouilloire toujours chaude dans la cuisine et entre ses murs régnait le calme d'un couple qui était marié depuis de nombreuses années, avait enduré beaucoup de choses et trouvé un chemin. Solaire, Tiriel avait finit par ressembler un peu à sa partenaire (...) car rebecca le tempéraitMais je suis alors arrivée, pièce en saillie dans tout ce calme".Sa famille, pourtant aimante, ne pourra la soustraire aux règles de la communauté lorsqu'arrivera le drame, l'incendie de l'école. C'est forcément Lillie qui y a mis le feu. Elle sera punie pour cela et devra vivre enfermée durant les huit années qui suivront afin que sa présence ne souille pas les habitants. Mais Lillie souhaite cela car elle ne parvient à se fondre dans cette austérité : vivre à l'écart, se plonger avec bonheur dans ses livres, remplir ses carnets de réflexions, de tranches de vie, collectionner les mots. A vingt et un ans elle est enfin libre. Durant ces huit années elle a imaginé ce que serait sa vie de jeune femme. Elle qui a été privée du monde à treize ans entend rattraper ce retard et a soif d'apprendre. "Lillie voulait se mouvoir livrement dans un monde qui l'écartait, elle voulait être magnifique, spontanée, tumultueuse et dérangente.Contester le statut de figurante qu'on lui avait assigné, la vie de silence, d'humilité, d'ordre, d'obéissance, de tranquillité."Mais cette liberté , elle ne la trouvera pas à Sunshine. C'est pourquoi ses parents l'envoient chez son grand-père, en Angleterre. Afin qu'elle ne fasse pas le voyage seule et sans doute aussi pour l"avoir à l'oeil, ses parents la confient à Richard, un ami. Richard, bien plus âgé qu'elle, incarne pour Lillie l'expérience, la maturité, aussi lui voue-t-elle une admiration qu'elle prend pour de l'amour. C'est qu'elle est avide de connaitre l'amour, les hommes, mais ne veut se donner qu'à celui qui sera véitablement l'homme de sa vie.Richard, au départ peu intéressé par une jeune femme dont il garde visiblement un souvenir enfantin, découvre en elle une femme et lui fait la cour. Chez son grand-père Lillie va découvrir sa propre identité, ses désirs, mais aussi la vie de ses parents, de sa mère et le pourquoi de leur fuite dans cette communauté reculée de l'Australie. Londres l'attire, la pluie, le froid, un si grand contraste avec sa terre australienne. Mais l'attire aussi Evendon, une propriété qui appartient à son grand-père et près de laquelle elle aime rôder. Cette grande maison en bord de mer lui parle, aussi le jour où elle y découvre un intrus, se sent-elle bafouée. De quel droit s'invite-t-il ici ? qui est-il ? Dan est photographe, journaliste et n'entend pas partir tant qu'il n'aura pas réellement découvert Lillie, "Voici donc cette jeune Lillie Bird (...) toute frissonnante d'espoir, ses instincts en joie car il s'agit d'un lecteur et elle a implicitement confiance". Commence alors l'évolution de la jeune femme, entre ces hommes, celui qu'elle aime, celui avec qui elle vit, celui qui devient peu à peu son ami malgré l'agacement qu'il suscite en elle. En fond, toujours, l'image de son père , Tiriel, généreux mais effacé, qu'elle aime tant. Sa tante Annie lui apprendra à devenir femme, Richard les désillusions de l'amour et Dan le véritable lien qui peut unir deux êtres et pourtant "elle n'est pas sûre d'avoir le courage d'aller jusqu'au bout, on lui a inculqué que ce n'est pas bien d'être libre, une femme de Sunshine doit savoir rester à sa place".
Lillie raconte tout cela à son enfant qui va naitre, comment son père fut l'homme qui la révéla, comment elle crut mourir le jour où elle découvrit qu'il appartenait à la même communauté qu'elle, comment tous deux décidèrent de braver les règles par amour. "Mais Dieu fait des cadeaux cruels" ...
En vrac et au fil du texte : je ne peux en dévoiler davantage de peur de trahir l'auteur, l'histoire qui doit rester en suspend jusqu'à la fin. Je peux juste dire que j'avais les larmes aux yeux en finissant la lecture de ce roman, tant il est bouleversant. Rarement un roman m'a à ce point touchée aussi est-ce un coup de coeur.
J'ai particulièrement apprécié l'écriture de cet auteur que je ne connaissais pas, extrêmement poétique. Pour le coup la traduction est sublime, le mot juste, le phrasé intense. La sensualité qui anime Lillie ressort dans chaque chapitre et le lecteur est happé par ce drame ( car c'en est un et il est annoncé dès les premières lignes). Le jeu de l'écriture mêle un récit à la première personne dont la narratrice est Lillie et à la troisième personne, comme pour prendre du recul par moment afin de mieux observer sa propre vie, en rendre les détails ou se détacher des sentiments très forts qui l'animent depuis le début.
Le contraste entre une Australie ensoleillée mais sèche dont on ne découvre que la communauté des shiners, effrayante de rigidité et d'austérité et Londres , la pluvieuse, la ville qui laisse dormir sur ses trottoirs les exclus de la société, est magnifiquement souligné. On grandit avec Lilllie, on aime avec elle, on y croit, on a besoin d'y croire !
Nikki Gemmell a choisi comme toile de fond l'Angleterre dont elle peint un tableau contrasté, parfois choquant avec ce foyer de sans abri dans lequel Lillie et Dan s'installent après leur départ de chez Cédric et qui souligne une société à deux vitesses dans laquelle on peut réussir ( Richard) ou juste survivre. Elle insiste sur le clivage entre les classes tout en laissant au lecteur le soin de se faire sa propre idée. car en contrepoint Lillie aime ce Londres là, ce gris, et veut en connaitre les moeurs si décalées par rapport à l'Australie. A moins que ce ne soit les australiens qui soient décalés en Angleterre, jugés en tous cas par leurs compatriotes anglophones.
Je recommande ce roman puissant , juste et émouvant. J'ai hâte d'en découvrir plus sur cet auteur, un autre titre.