Rose, Tatiana de Rosnay
Rose, Tatiana de Rosnay,Le livre de poche, 2012, 254 pages
Genre : roman
Thèmes : Paris, travaux d'Haussman, amour, mariage, mort, famille
L'auteur en quelques mots ...
Ecrivain depuis toujours. C'est ainsi que j'ai envie de présenter tatiana de Rosnay, fille du scientifique Joel de Rosnay, elle qui a grandi entre une mère anglaise et un père franco-mauricien et a donc eu le provilège de s'exprimer dans les deux langues très tôt. C'est en anglais qu'elle commence à écrire, dès l'âge de 11 ans, pour ne plus s'arrêter. Ses études littéraires la mènent au journaliste. Elle débute pour Vanity Fair, magazine américain, puis publie son premier roman en 1992 L'Appartement témoin. sa carrière de journaliste lui vaut des collaborations aux magazines Psychologies, Elle ou le JDD. Parallèlement elle poursuit l'écriture de onze romans, dont trois en anglais.
Secrets de famille, passé qui refait surface, sont ses thèmes de prédilection. Curieusement elle a toujours écrit mais ne fut reconnue que récemment (en voilà qui doivent se mordre les doigts d'avoir refusé ses manuscrits !) grâce à un roman, Elle s'appelait Sarah, sur la rafle du Veld'Hiv' dont beaucoup ont dit que Sarah était la nouvelle Ann Franck. De quoi renouveler le genre et toucher un public adolescent, même si ce n'était pas l'objectif au départ. Le roman est porté à l'écran et les ventes s'envolent ! Du coup, alors qu'elle était publiée chez Plon depuis 1995, on la re-découvre et ses romans antérieurs sont à nouveau publiés.
J'ai beaucoup apprécié de lire ses interview dans lesquelles elle ne se qualifie pas d'écrivain mais de conteuse, "je ne suis pas un auteur littéraire, je suis un auteur populaire". Je regrette qu'on compare son succès à des noms comme Musso ou Lévy, je ne suis pas sûre que cela soit porteur.
Je la découvre avec Rose mais ai prévu de poursuivre avec Elle s'appelait Sarah. Pourquoi ne pas avoir commencé par celui-là ? Parce que les médias ont fait un tel battage autour de ce roman que j'ai eu un peu peur d'être déçue ! Et puis, une autre raison m'a poussée à lire Rose ( outre le fait que sur Livraddict Nathalie a proposé cette lecture dans le cadre du Book club !) : l'écriture de ce roman a demandé à Tatiana de Rosnay de rompre avec ses habitudes ( écriture sur l'ordinateur entre autres) et de se pencher sur une période que j'apprécie beaucoup et des auteurs comme Zola, Flaubert, Baudelaire, que l'on retrouve d'ailleurs dans le roman." La grande différence avec mes précédents romansc'est que j'ai écrit ce livre à la main (...) parce que je voulais m'imprégner de ce rythme que nous n'avons plus du tout.(...) Au XIX°S, pour s'informer, il fallait aller au marché ou lire les journaux ...Pour essayer de retrouver cette lenteur et puisque le roman est sous la forme épstolaire j'ai acheté un cahier Moleskine à l'ancienne" (interview pour La Sandale rouge) Voilà une ambiance qui me plait et me ressemble !
L'histoire : Rose vit seule depuis quelques jours déjà dans sa maison, à l'angle de la rue Erfuth et de la rue Childebert, en plein milieu des travaux qui éventrent Paris. "Paris haché à coup de sabre, les veines ouvertes" Zola, La Curée, 1871. Seule dans la maison vide, elle écrit à son défunt mari. A presque soixante ans, Rose a décidé qu'elle n'abandonnerait pas sa maison, celle qui a vu naitre son époux et l'a accueillie. " Cette maison est mon corps, ma peau, mon sang, mes os. Elle me porte en elle comme j'ai porté nos enfants". A travers cette dernière lettre à son époux Armand Bazelet, Rose fait défiler le temps, du jour de leur rencontre à la naissance de leurs enfants, des moments heureux passés dans le quartier de Saint Germain- des- près aux drames vécus main dans la main. Pourtant ce dernier drame, elle est seule à le vivre. Armand est décédé quelques années plus tôt, d'une longue maladie. Attablée face à une vieille boite en carton, Rose évoque leur couple, l'amour infini qu'ils se portaient, le respect, la tendresse puis l'éloignement du à la maladie. Car cette boite contient toutes les lettres d'Armand, de maman Odette et bien d'autres qui sont autant de pierres précieuses constellant sa vie. "Une lettre peut révéler tant d'intimité !". Ce qui la pousse à écrire est aussi lié aux tranformations qui défigurent Paris, "Comme tous les parisiens, nous savions que des parties de notre ville devaient être rénovées, mais jamais nous n'aurions imaginé un tel enfer (...) ici ont vécu et respiré des gens dont c'était le foyer". Le préfet Hausmann a lancé en 1850 de grand travaux destinés à moderniser la ville et en faire une grande capitale. Mais Rose voit cela comme un moyen d'assouvir la soif de grandeur de cet homme et de l'empereur, qu'elle ne porte pas en son estime, "Vivre à Paris sous le règne de notre empereur et de notre préfet était comme vivre dans une ville assiégée, envahie chaque jour par la saleté, les gravats, les cendres et la boue". Pourtant cet événement est aussi ce qui a rapproché les voisins, lui a fait rencontrer des êtres chers qui ont à jamais changé sa vie, comme Alexandrine la jeune fleuriste qui ravive en elle un sentiment maternel ou encore M Zamaretti, le libraire qui lui a ouvert de nouveaux horizons en l'amenant à la lecture.Du coup "Retranscrire l'histoire de ce lieu est devenu un besoin terrible, irrépressible" pour Rose. C'est pourquoi elle écrit. Elle écrit à son amour parti pour lui dire quelle respectera sa promesse, faite sur son lit de mort ,de protéger sa maison, de ne pas la laisser sans se battre. Elle écrit pour redonner vie à son quartier, dans le moindre détail. Elle écrit pour faire revivre son merveilleux petit garçon, emporté par le choléra en 1849 (année terrible qui est aussi celle de la première rencontre entre le préfet et l'empereur), pour exorciser le mal qui la ronge depuis tant d'années et enfin comprendre ce qui l'a séparée de sa fille Violette, si distante. Mais par cette dernière missive elle tient aussi à lui avouer un lourd secret ...
Sur cette photo de Charles Marville la maison blanche est celle qui a inspiré Tatiana de Rosnay pour évoquer le maison de Rose. Elle était donc située à l'angle de la rue d'Erfuth et le la rue Childebert.
En vrac et au fil des pages : la première de couverture m'a un peu rebutée au départ, trop fleur bleue pour moi ! Et puis le jeu mot-image ... Avec le recul je me dis qu'il ne pouvait en être autrement et qu'elle est finalement bien trouvée car correspond à ce que l'on va trouver dans ce roman. Une petite préférence pour celle-ci toutefois qui propose un côté plus ancien ...
Même chose pour les premières pages dans lesquelles je suis entrée sans difficulté mais avec un petit à priori : pourquoi le registre épistolaire pour s'adresser à un mari défunt, quel intérêt ? Pourquoi pas simplement un récit à la première personne ?Ce n'est qu'au chapitre suivant que le récit m'a davantage enchantée , par les descriptions des vieux quartiers, du Paris d'avant Haussman, et que j'ai compris que le fait que Rose écrive avait une fonction précise dans le roman.
A partir de là j'ai apprécié les références justes et précises à la vie dans le quartier de Saint Germain des prés, le travail de documentation nécessaire à l'élaboration des descriptions fines et les anecdotes véridiques, comme l'évocation de l'hiver 18... lorsque la Seine, gelée sur plusieurs centimètres, a permis aux curieux de marcher sur la glace et observer Paris d'un autre oeil ou encore l'exposition universelle de 1855.
Paris sous le Second Empire nous est rapporté par des écrivains comme Zola qui le vivent de l'intérieur. Ici, Tatiana de Rosnay a ce recul, ce regard sur le Paris moderne qui permet de détailler la nostalgie du Paris perdu, celui que nous ne connaitrons jamais. Le lecteur superpose alors les deux descriptions et cherche les détails qui vont le faire rêver, le transporter au XIX°S.
C'est l'histoire d'une vie qu'elle nous raconte et avec elle, la vie d'écrivains de cette époque. Les journaux parlent ainsi du procès de Gustave Flaubert alors même que le libraire de Rose la convaint de lire Madame Bovary, roman qui passe pour perversif. Plus loin dans le roman Rose lit Thérèse Raquin de Zola et évoque la critique journalistique de l'époque qui qualifiait le livre de "littérature putride". On appréciera aussi avec quel plaisir l'héroine décrit sa découverte d'Edgar Alan Poe, de son univers si particulier mêlé d'obscur mystère et de fantastique.
Il ne fait aucun doute que sans ces références et les détails qui donnent vie aux lieux parisiens évoqués, je n'aurais pas autant apprécié cette lecture. Cela étant ,la plume de Tatiana de Rosnay est sensible, délicate et convient parfaitement à ce type d'écrit.Par ailleurs l'auteur a ménagé une fin émouvante, surprenante par certains côtés.J'ai hâte de découvrir comment la dimension historique est traitée dans Elle s'appelait Sarah, que j'espère loin de tout pathos excessif !
les petits plus : Sur les traces de Rose, pour ceux qui s'intéressent au Paris d'hier et d'aujourd'hui. Puis, à la fin du roman Tatiana de Rosnay revient sur l'écriture, ce qui l'a inspirée, le travail de recherche sur cette période. Il est toujours appréciable de savoir ce qui a inspiré un auteur et quelle part de lui-même il a mis dans l'ouvrage, quelle implication dans la documentation. Rose, entre fiction et réalité ... un roman à découvrir.