20130601_171907.jpg

 

Seuls le ciel et la terre, Brian Leung, éditions Albin Michel, 2013, 370 pages

Traduction: Hélène Fournier

Genre : roman

Thèmes : émigration, mine, ségrégation, révolte, amour,Wyoming

 

L'auteur en quelques mots

http://louisville.edu/artsandsciences/news-events/e-portal/images/Brian-Leung.jpg/image_preview

Né en Californie d'un père chinois et d'une mère américaine, Brian Leung a grandi à San Diego. il est l'auteur des hommes perdus ( que j'espère découvrir bientôt ;) ) et d'un recueil de nouvelles qui lui a valu plusieurs prix : Wold Famous Love Acts. Il enseigne la littérature à l'université de louisville dans le Kentucky.

 

Merci aux éditions Albin Michel de m'avoir fait découvrir ce roman intense.

L'histoire

1927. En route pour le Wyoming qu'elle n'a pas revu depuis sa fuite, voilà quarante ans, Addie revient sur sa jeunesse et les raisons de son départ. Si elle entreprend le voyage aujourd'hui c'est pour revoir son vieil ami chinois mais aussi pour découvrir la vérité sur l'homme qui lui a tiré dessus quarante ans plus tôt, alors qu'elle avait entrepris de sauver un jeune chinois au moment des émeutes.En 1884, lorsque son frère Tommy lui demande de le rejoindre dans le Wyoming où il a acquis une concession, Addie n'hésite pas. Elle aussi veut participer à cette aventure : une terre neuve et prometteuse comme la présente l'Union Pacific . Pourtant lorsqu'elle arrive dans l'Eldorado, Addie découvre une terre qui ne se livre pas facilement et un toit de tôle en guise de maison. Aride et meurtrier, alimenté par les mines dans lesquelles blancs et asiatiques oeuvrent chaque jour pour un salaire dérisoire, le Wyoming est un espace qui nourrit les rêves mais tue les hommes. Addie, à 16 ans, est une jeune femme forte. Huit ans auparavant elle permettait à son frère de s'enfuir de la maison familiale où leur père alcoolique faisait subir aux siens les pires peines. A la mort de ce dernier Addie s'est résolue à rejoindre son frère afin de partager son rêve. Chaque jour, elle apprend alors à mener sa barque, observant les moeurs et livrant des repas aux mineurs en compagnie de Wing lee, jeune chinois émigré qui cuisine à Dire Draw. Addie se souvient qu'à son arrivée, naive et insouciante, elle ne comprenait pas ce qu'on lui racontait. Pour elle les coolies étaient des animaux ( ce que ne démentaient pas certaines personnes) dont elle ne devait pas s'approcher. Pourtant Wing Lee fera chavirer son coeur et, malgré un mariage de raison avec Muuk , c'est à lui qu'elle donnera tout ce qu'elle est. Dans ce milieu hostile, Addie gagnera le respect des hommes par une action héroique qui la fera reconnaitre de tous. Mais elle ne peut rien contre les circonstances. Les hommes ont été poussés à bout par cette main d'oeuvre venue de Chine qui accepte des salaires moindres et peine à la tâche. Chaque jour , les chinois subissent l'intolérance et l'humiliation mais se raccrochent à un rêve de fortune qui leur permettrait de rentrer chez eux. Tous sont , sans le réaliser vraiment, liés par ce rêve,  jusqu'à la révolte de 1885 qui verra le soulèvement des mineurs blancs ...

En vrac et au fil des pages

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/20/Massacre_of_the_Chinese_at_Rock_Springs_b.jpg

C'est un roman sincère et intense que nous livre Brian Leung. Sur fond historique d'American dream, l'auteur propose le récit à la première personne d'une femme courageuse, Adèle Maine. On la retrouve ainsi à trois moments clés de sa vie : le roman s'ouvre sur le retour en terre hostile en 1927, puis repart en 1885 au moment des émeutes alors qu'Addie s'inquiète pour le sort de son ami et amant Wing Lee et enfin à l'époque où elle a rejoint son frère sur cette terre.

Dire draw est une ville qui a vu arriver en masse des hommes de toutes nationalités ( irlandais, chinois ...) en quête d'un rêve de fortune dans les chemins de fer ou les mines. L'Union Pacific dresse alors le portrait d'une terre prometteuse, vierge, où tout est possible. Pourtant la réalité est tout autre et le courage de ces hommes ne cesse de surprendre tant le travail proposé est dangereux et harrassant.

Au coeur de cet univers masculin, Addie ne démérite pas. Habituée à travailler, à lutter, elle s'impose rapidement et noue des liens forts avec la communauté chinoise, au grand dam de Muuk, un norvégien austère qui deviendra son mari dans des circonstances dont je ne peux parler de peur de trop en dire !

Le racisme est aussi un des thèmes forts de ce roman et l'on retrouve les notions d'esclavage, les termes dépréciatifs ( coolies) et les habitudes qui rabaissent l'homme au rang d'animal. Le propos est bien amené par la naiveté de l'héroine qui, n'ayant jamais rencontré de chinois, ne comprend pas de quoi on lui parle. Les propos sont certes choquants mais reflètent une réalité qui prendra une forme concrète dans la révolte sanglante de 1885.

Et puis, au milieu de ce tumulte, de ce monde aride, une bulle de poésie avec Wing Lee et sa vision des choses empreinte de sérénité. Avec peu de moyens cet homme va ouvrir les yeux d'Addie, lui offrir plus que ce qu'il a et l'entrainer dans ses coutumes, son univers. Cette confrontation est une merveilleuse aventure pour un roman qui parle aussi d'amour, dans tous les sens du terme : amour filial avec le portrait dressé au fil des pages de cette mère absente, amour fraternel avec l'attachement à Tommy, le respect que cette relation entre frère et soeur installe, puis amour charnel et spirituel avec le rapprochement de deux nationalités si différentes, Addie et Wing lee.

Le style est fluide et aide à se plonger dans le quotidien, l'époque, le lieu. Addie parle et c'est sa voix que l'on entend, non celle de l'auteur. Par moment même une sorte d'accent transparait. C'est une réussite.


Retour à l'accueil