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Tout seul, Christophe Chabouté, editions Vents d'Ouest, 2008, 368 pages

Genre : bande dessinée

thèmes : solitude, rêve, imagination, altruisme

 

L'histoire :Un navire de pêche approche du phare. A son bord deux pêcheurs. L'un d'eux descend et pose deux caisses avant d'être rappelé à l'ordre par son accolyte "Pose moi ces caisses et remonte à bord...Tout de suite !". L'homme s'exécute mais s'interroge sur ce rituel : pourquoi livrer ainsi des caisses sur le phare ? que contiennen-telles ? drogue ? arme ? . "Personne ne t'en a donc parlé au village ?(...) Les caisses c'est du ravitaillement". Et le patron explique qu'un homme vit dans ce phare depuis de longues années. Il y est d'ailleur né ! Puis sa mère est morte et avant de partir à son tour, son père a tout organisé pour qu'on vienne le ravitailler tout au long de sa vie. Il lui parle de l'homme qui n'a jamais vu la terre, qui vit reclus dans ce phare où ses parents l'on caché à cause de sa difformité, qui se cache à l'approche d'un bateau. Nul ne connait son nom mais on le surnomme "Tout seul".

Le récit illustré nous conduit alors l'intérieur du phare où l'on découvre tout d'abord les objets du quotidien, les souvenirs entreposés, des jouets d'enfants, une photo d'un couple, puis l'homme. Son visage est en effet difforme, son corps courbé. Son regard se pose autour de lui et aussitôt le phare deivent un arbre dansant dans le vent, le bruit des vagues qui se fracassent sur les rochers lui révèle un cheval au galop, son imagination est sans limite.

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Son occupation favorite : ouvrir le dictionnaire au hasard et laisser son esprit vagabonder à la lecture d'une définition qu'il illustre avec ce qu'il connait...

Le premier homme sur la lune ...

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Haubois : instrument de musique à trous et à clés ...

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Et puis la pêche, qui lui permet de manger du poisson frais chaque jour. Un moment privilégié qui lui apporte parfois un signe du monde qui l'entoure : une chaussure, une balle, une branche ... qu'il entrepose soigneusement tel un trésor.

Mais un jour le jeune pêcheur n'y tient plus et glisse sous une des caisses une enveloppe. A l'intérieur un mot "qu'est-ce qui vous ferait plaisir ?". Au ravitaillement suivant l'homme lui renvoie son billet suivi de la réponse: "Des images du monde". Ainsi lui transmettra-t-il des photos de divers pays, diverses cultures et, comme il n'y a pas de hasard, le dictionnaire ouvert au hasard lui apprendra le mot "routine : habitude d'agir ou de penser toujours de la même manière, ensemble d'actions répétitives et monotones" qui le renvoie à sa propre condition, puis "prison : local où l'on enferme les accusés (...) Maison sombre, triste". Condamnés, triste, les mots raisonnent et le poussent à agir. dans un premier temps il va rendre la liberté à son poisson rouge, reclus comme lui dans son bocal, puis ce sera son tour d'aller voir le vaste monde ...

 

En vrac et au fil des pages : lorsque j'ai pris cet album à la médiathèque j'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'un roman. Son format 170X245 mm, en fait un bel objet que l'on prend plaisir à feuilleter. L'on découvre alors un style épuré, tout en nuances, contrastes noirs et blancs, très peu de texte ce qui permet à l'imagination de divaguer au gré du trait léger et en même temps en mouvement. C'est sans doute ce qui m'a le plus attirée dans cette bande dessinée : l'impression que le trait est mouvant, que ce soit la mer, le phare qui semble tanguer, le navire bercé par l'océan...

Je pense que ce qui donne sa cohérence à l'album est que l'on retrouve une technique cinématographique de prise de vue dans le jeu de plongée, contre-plongée qui nous place en position de spectateur. Une sensation de mal de mer est causée ça et là par le cadrage oblique. Finalement le lecteur est au coeur de l'histoire. Et quelle histoire!  C'est un bel hommage à l'imaginaire. On ne peut qu'être touché par la représentation que cet homme se fait du monde en fonction de ce qu'il connait. Ainsi la métaphore "pluie de balle" prend-elle vie sous ses yeux en une réelle pluie de balles que des passants, étonnés, reçoivent sur leur parapluie. Mais c'est aussi une vision poétique qu'il propose, sans doute une façon de souligner la sensibilité de cet homme à l'imagination enfantine, comme on le voit ci dessous :

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Les rares paroles qui ponctuent la BD accentuent l'atmosphère étrange et tout à la fois intrigante. Les deux pêcheurs parlent peu, par pudeur, mais finissent par s'ouvrir l'un à l'autre. L'un bourru, vieux loup de mer, l'autre plus jeune, tout juste sorti de prison et méfiant mais qui établit le contact avec l'homme du phare. C'est une histoire émouvante dont la fin témoigne d'un élan de générosité. Ce n'est que parce qu'il se sent prêt et en même temps parce qu'il  a confiance en celui qui lui a le premier parlé, que cet homme va se résoudre à quitter son "navire de pierre". Les trois personnages évoquent chacun une forme de vie solitaire que chacun appréhende avec ses propres moyens : l'imagination, la parole, le regard. On pourrait penser que c'est la curiosité qui les pousse à entrer en contact, à vouloir en savoir plus. Mais c'est davantage une soif de savoir, de comprendre.

On en retient qu'aller vers l'autre ne va pas de soi, demande bienveillance et confiance. Ces écorchés de la vie nous le prouvent.

Un très bel album que je vous recommande et que je devrais acquérir pour ma bibliothèque !

12 d'ys

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