Trois fermiers s'en vont au bal, Richard Powers
Trois fermiers s'en vont au bal, Richard Powers, collection 10/18 étranger, 2004, 514 pages
Genre : roman
thèmes : photographie, première guerre mondiale, régimes politiques, destins croisés, Amérique,industrialisation, années 80
L'auteur en quelques mots ...
Né à Evanston, dans l'Illinois, en 1957, Richard Powers a publié son premier roman en France en 2004, Trois fermiers s'en vont au bal.Il est l'auteur d'une dizaine de livres dont les récents Gains ou le dilemne du prisonnier, mais aussi Le temps où nous chantions. Passionné par les science, il explore ce thème dans The Gold Bug Variations ou Galatea 2.2
L'histoire
Le narrateur, journaliste de passage à Detroit, profite de quelques instants d'attente pour visiter le Detroit institut of Arts. Intrigué par une photographie de August Sanders, Trois fermiers sur la route du bal, éditée en 1914, il finit par être totalement happée par l'image et cherche à comprendre ce qu'il est advenu des hommes représentés sur la photographie. "Comme il arrive parfois lorsque l'on tue le temps, j'allais découvrir au cours de ma brève halte à Détroit quelque chose qui allait tuer, non pas six heures, mais un an et même plus...", "A elle seule, la date indiquait qu'ils ne se rendaient pas au bal auquel ils s'attendaient"
"Trois hommes marchent sur une route boueuse par une fin d'après midi; deux d'entre eux sont jeunes à l'évidence, le dernier est sans âge". Ils chantent en allemand, parlent politique, lorsqu'ils croisent un homme à bicyclette affublé d'un attirail bien étrange. "Ceci mon ami, c'est mon appareil pour portraits en extérieur". Perplexe devant ce qui apparait comme de la magie à une époque où tout se fait en studio, les trois garçons se laissent pourtant tirer le portrait. "Trois hommes, dont l'un seulement est originaire de la région, sont photographiés comme s'ils se rendaient à ce qui serait pas tout à fait une fête. L'un d'eux reste un peu en arrière, il tient sa canne avec désinvolture (...) ses yeux sombres portent une souffrance accumulée pendant plusieurs décennies".
Retour au présent : Peter Mays, journaliste lui aussi, suit par la fenêtre de son bureau le défilé du 14 juillet, lorsqu'il aperçoit, filant à contresens, une jeune femme rousse qui va l'obséder au point qu'il va la suivre. Elle le mènera vers une photographie sur laquelle on aperçoit Henry Ford et un garçon qui ressemble étrangement à Peter Mays ...
Quel lien unit nos trois protagonistes ? Pourquoi retrouve-t-on toujours la figure d'Henry Ford dans ces trois destins, à des années d'intervalle ?
En vrac et au fil des pages
Cette fresque a ceci d'original qu'elle part d'un parti pris de l'auteur : faire se croiser les destins de plusieurs personnages à partir d'une photographie. Chaque chapitre donne donc la parole à un narrateur différent, modifiant le point de vue, l'époque, le regard sur la vie. La grande Histoire défile sous nos yeux, parcourant tout le XX°S.
Pourtant des similitudes apparaissent et les personnages de Powers se font témoins de leur temps. Le lecteur comprend toute la force du portrait réalisé sur le bord de la route par August Sanders, portraitiste qui a résolu de présenter l'Homme du XX°S afin de garder une trace de l'instant. Nous savons bien ce qui attend ces trois jeunes hommes, car avons le recul qu'eux n'ont pas. C'est là sans doute l'intérêt du récit qui tourne aussi autour de nos connaissances.
La Grande guerre a broyé les destins européens.L'industrialisation, l'automatisation, ont fait de l'Amérique un géant. Mais qu'en est-il des individus ? Powers les replace au coeur de l'oeuvre, du temps. Je dirais que c'est un roman sur la mémoire.
J'ai pourtant eu du mal à entrer dans le récit, par la multitude d'informations qui nous sont livrées dès le départ, la vie de Sanders, les reflexions politiques. Il y a de quoi se perdre dans cette fresque. Jusqu'à ce que le dernier chapitre rassemble les pièces du puzzle...
Je recommanderais ce roman pour la plume, l'agencement et l'idée de départ, originale.