Ce qu'on ne vous dit pas ...

Petit billet d'humeur à J-1 d'une grève nationale qui ne servira peut-être à rien mais a le mérite d'exister.

Accablement d'une prof de Lettres qui enseigne depuis 18 ans et voit le niveau baisser, les jeunes ne plus fournir que le minimum syndical ( c'est-à-dire une présence en classe mais rien à la maison), des parents souvent désabusés ou fatalistes, le numérique envahir les classes au détriment des fondamentaux : lire, écrire, raisonner.

Alors oui il faut changer nos pratiques et celle qui vous parle aujourd'hui l'a fait plus souvent qu'à son tour. Si vous venez dans ma classe vous verrez des îlots, un tableau numérique mais vous verrez aussi des dictionnaires sur toutes les tables, des classeurs d'autonomie, des boites à exercices pour les plus gourmands, des livres, des livres, des livres, des tableaux de grands peintres, des fiches de conjugaison ...

Parce que le collège de l'avenir devrait être exigeant, rigoureux, former la pensée des jeunes, les aider à développer un esprit critique, enrichir leur vocabulaire, et tout cela à leur rythme, je vois cette réforme comme une occasion de plus de montrer aux jeunes que l'école est un fourre-tout , un lieu où l'on peut apprendre en s'amusant.

 

 

 

Ce qu'on ne vous dit pas ...

Preuve à l'appui :

On vous fait croire que les horaires des disciplines ne baissent pas.

Faux : le temps de présence des enseignants est le même mais sur 4h30 de Français, 1h est dévolue à l'accompagnement, à partir d'un projet . 1h en moins d'enseignement de la langue donc. CQFD.

 

On vous fait croire que l'interdisciplinarité c'est l'avenir.

Faux : les enseignants ne refusent pas de travailler ensemble mais revendiquent la possibilité de le faire lorsque cela se justifie et non de manière imposée, dans leur emploi du temps. Entre autres projets menés dans les écoles/collèges qui ont expérimenté cela : cuisinons en espagnol, concevons une fiche mode d'emploi d'un appareil ... pitié !

 

On vous fait croire que vos enfants seront meilleurs en langue.

Faux : la langue vivante 2 obligatoire en 5° ne fera qu'alourdir le travail des jeunes déjà fragiles, en difficultés et qui n'auraient du rencontrer cette contrainte qu'en 4°. Par ailleurs c'est la méthode d'apprentissage qu'il faut changer. Chaque année je suis surprise de voir des élèves sortir du collège sans savoir tenir une conversation minimale .On va interdire aux jeunes volontaires et qui en sont capables ,d’apprendre dès la 6e une deuxième langue en bilangue .Et en contrepartie, tous les élèves auront deux heures et demie d’enseignement à partir de la 5e. Vous constatez la perte et l'inefficacité d'une telle pratique.

 

On vous fait croire que la fin des classes bilangues c'est le bien de tous.

Faux : ces classes ne sont pas élitistes et on y trouve aussi des élèves en difficultés ou qui n'ont pas deux langues. Arrêtons de croire que l'école veut sortir des élites et ne se préoccupe pas des enfants fragiles. On ne fait que cela et l'hétérogéneité des classes est la garantie de cette réussite : les jeunes avancés peuvent bénéficier d'un enseignement de qualité, rigoureux, ceux qui y parviennent moins ont des aides, bénéficient de moyens adaptés à leurs difficultés. Dans les faits cela est très lourd à gérer pour les enseignants qui doivent jongler entre les niveaux ,mais niveler par le bas n'est pas la solution.

 

On vous fait croire que le latin et le grec seront toujours enseignés de la même façon

Faux : ils entrent désormais dans les fameux EPI ( Enseignements pratiques Interdisciplinaires) donc pas d'horaire garanti et un travail nécessaire avec un autre enseignant d'une autre discipline. Autre danger : des jeunes qui ne souhaitaient pas ou n'avaient pas les capacités d'apprendre ces langues vont désormais y être confrontés. Les enseignants vont aussi devoir gérer cela. Le saviez-vous ? Le Capes de lettres classiques n'existe plus (c'était un signe avant coureur de cette réforme !). Qui donc va enseigner le latin ? Les professeurs de lettres qui deviennent donc polyvalents, comme leurs camarades de math/physique ou autre. Adieu la spécificité des enseignants qui était aussi une garantie d'un apprentissage pointu. Délayage, délayage ! 

 

On vous fait croire que les enseignants sont disponibles pour vos élèves

Faux : depuis longtemps déjà les enseignants n'enseignent que pour une petite part de leur emploi du temps. En vrac, voici quelques tâches qui leur incombent aussi : formation à la sécurité routière, formation aux premiers secours, orientation, formation au B2i, suivi de stages, composition et suivi des dossiers élèves, participation à des réunions de plus en plus régulières ( conseils pédagogiques, conseils d'enseignement, conseil école/collège, conseil collège/lycée...), préparations particulières pour enfant atteints de troubles de l'apprentissage, j'ai envie d'ajouter psy ou assistant social. Nous sommes loin de nos préparations de cours, des corrections qui en découlent. Devise : toujours plus ! 

 

On vous fait croire que les nouveaux programmes sont tout aussi exigeants.

Faux : en mathématiques, un quart du programme est retiré en 3e, pour tenir compte de la baisse des horaires. En français les intitulés sont tellement flous que chacun va travailler différemment d'un collège à l'autre. Un exemple plus bas. 

 

On vous fait croire que vos enfants s'ennuient au collège :

Faux : on ne peut pas s'ennuyer avec toutes ces disciplines, ces nouveaux centres d'intérêts, ces connaissances. La vérité , que les jeunes appellent ennui, c'est qu'on ne s'amuse pas. Mais l'école est-elle faite pour cela ? Pour l'amusement nous avons tout de même les heures péri éducatives, l'UNSS dans une certaine mesure. Mais en classe doit-on faire du ludique pour intéresser ? Moi je veux bien m'adapter aux jeunes qui s'ennuient , les pauvres, mais de là à slamer mes cours ! 

 

On vous fait croire que le numérique et les réseaux sociaux vont faire de vos enfants des citoyens responsables

Faux : dans mes classes de 6° 40% des enfants ont FB et, souvent, les parents ne le savent pas. De nombreux parents reconnaissent être dépassés alors que cette éducation là commence à la maison. Les jeunes sont persuadés de tout savoir sur le numérique mais tatonnent, ne savent pas réellement utiliser les outils à leur disposition, ils flânent sur un internet chronophage, zappant d'info en info. Cela se retrouve dans les cours qu'ils ont du mal à suivre ou les tâches difficiles à mener à terme. Là encore, la nouvelle mission des enseignants est de les former aux réseaux sociaux ! Pire, on nous demande d'enseigner avec des tablettes, des portables pour intégrer ces nouveaux outils ! 

Moi je dis qu'à trop s'adapter aux jeunes on perd le sens même de notre métier.

 

On vous fait croire que les nouveaux programmes sont plus cohérents:

Faux : je ne prendrai qu'un exemple. Jusqu'à présent les programmes de français et d'Histoire étaient liés ( ex : en classe de 5° j'étudie la chevalerie en français et mon collègue d'Histoire est plongé dans la société féodale). Tout cela disparait. Interdisciplinarité ? Bizarre, moi je bossais bien avec mon collègue d'Histoire et volontairement en plus ! 

 

On vous fait croire qu'on redonne ses lettres de noblesse au français

Faux extrait :" Dans le domaine des arts, qui regroupe les arts plastiques et l’éducation au visuel ainsi que l’éducation musicale, le cycle 3 marque le passage d’activités servant principalement des objectifs d’expression, à l’investigation progressive par l’élève, à travers une pratique réelle, des moyens, des techniques et des démarches de la création artistique. "

Ben... et la littérature, ce n'est pas un art ? On ne la trouve que dans le cycle 4

Désormais, la liberté pédagogique est telle que chaque enseignant va faire à peu près ce qu'il veut, au risque qu'un enfant qui change de collège refasse la même chose l'année suivante ou pire n'ait jamais vu un point essentiel ! En outre la dimension littéraire du programme de français disparait au profit de la technique. Je suis pour l'étude de la langue dans sa spécificité et je ne laisse à personne mon heure de grammaire hebdomadaire mais à côté de cela je donne toute sa place à l'histoire littéraire, au texte.Tout se passe ici comme si le français en 6e se réduisait à un outil de communication. Puis bon, en forçant le trait, on peut imaginer que certains enseignants ( j'en connais) n'étudierons que des oeuvres jeunesse sans qualité littéraire. Puisqu'aucun programme littéraire n'est imposé on fait ce qu'on veut !

Cela commence dès le Primaire, le français comme discipline enseignée en tant que telle en classe de 6e semble purement et simplement disparaître ! Le français (comme toutes les matières dans ce cycle inter-degré) se retrouve noyé dans le socle commun. un peu de français en mathématiques en lisant l'énoncé, un peu de français quand on parle, un peu de sucre, un peu de sel ! 

 

'"Poussière de culture littéraire"

 

Je laisse la parole à Pierre Jacolino Professeur de français Membre du GRIP :

"On a réparti des questionnements, censés décliner chaque année le même thème, en les structurant non pas pour leur cohérence interne, mais pour des raisons excessivement éducatives. C'est par exemple le cas du premier thème : « Se chercher, se construire ». Les questionnements correspondants (« Le voyage et l'aventure : pourquoi aller vers l'inconnu » en 5e , « Dire l'amour » en 4e et « Se raconter, se représenter » en 3e ) sont liés par des rapports philosophiques : pour « se chercher » et « se construire », formulations vagues s'il en est, il faudrait en effet se confronter à l'autre, par le voyage et l'amour, pour apprendre finalement à parler de soi. 

Cette répartition des lectures tente en quelque sorte de mimer le développement de l'élève, avec toutes les chances de ne pas être synchrone avec lui, et en faisant l'hypothèse que les lectures doivent absolument être liées avec les stades théoriques de ce développement. Naïvement, on cherche à administrer la bonne lecture au bon moment, pour influencer le développement de l'élève. (...)

Ici, il s'agit de présupposer des questionnements chez l'élève à partir d'un modèle théorique très précis (de l'autre au moi, dans la première compétence). Le cours de français deviendrait une forme de coaching pour adolescents.(...)

Un des acquis des programmes de 2008 était justement l'organisation en partie chronologique du programme de lecture. La sixième jouait le rôle d'un sas d'entrée en littérature. On y récapitulait les quelques connaissances littéraires du primaire (les contes, la mythologie, les fables). On mettait l'accent sur des textes dits « fondateurs », qui pouvaient servir de textes de référence pour les lectures ultérieures. Par exemple, en 5e , la fin de Tristan et Iseut permettait d'évoquer à nouveau le mythe de Thésée. En 3e , l'objet d'étude « Réécriture des mythes » ramenait à la mémoire des souvenirs de 6e . Le professeur et l'équipe enseignante pouvait faire revenir de nombreuses fois des motifs, des scènes, des types de personnages. Ulysse s'opposait à Achille, mais menait à Renart, qui menait à Scapin, et ainsi de suite.Le bénéfice d'une part de chronologie dans les programmes était à la fois de structurer les connaissances littéraires des élèves, mais surtout de leur faire remobiliser ces connaissances, afin de mieux les mémoriser et surtout d'y voir une utilité pour comprendre et interpréter les textes"

 

Pourtant la clé n'est pas loin ! 

 

Je comprends tout à fait que l'on se préoccupe du niveau des élèves et que l'on s'adapte à la baisse des dernières années; mais cela ne doit pas empêcher les parcours d'excellence. L'école peut offrir un parcours personnalisé dans lequel chacun trouvera à manger selon ses capacités. Niveler par le bas donnera ( mais cela est déjà en bonne voie !) des citoyens incapables de mener un raisonnement, de voter ( tiens, tiens !), de transmettre à leur tour, des citoyens ignorants du passé, de la formation de leur propre langue ( le français). Chaque année je me vois contrainte d'expliquer aux jeunes, et désormais aux parents, à quoi servent l'Histoire, la grammaire...

 

Récemment j'entendais : " Mais pourquoi vous acharner à leur faire étudier Molière ou Corneille puisqu'ils ne les comprennent pas ?". Mais justement ! C'est parce que la fréquentation des classiques permet la formation de l'esprit qu'elle est indispensable. Ces textes contiennent toutes les problématiques auxquelles seront confrontés les jeunes, une compréhension fine des comportements humains. A partir de leur étude on peut disserter, comparer, raisonner. Et puis lire des classiques ça nous change, ça nous fait évoluer. Un temps on s'est posé devant ces textes, on a pris le temps de se prendre la tête, de se demander quel raisonnement, quel langage, quelles idées sous-tendent ces lignes. Si c'est une gymnastique pour l'esprit alors c'est profitable.

 

Les dégâts...déjà !

 

Horrifiée devant les copies du concours de professeurs des écoles que je corrige chaque année, j'interpelle un inspecteur qui me répond : " Ne soyez pas trop sévère, ces jeunes sont motivés pour enseigner à nos enfants, il faut leur donner l'occasion de réussir". 

Comment ? Avec autant d'erreurs d'orthographe et de syntaxe dans une copie, je dois accepter de revoir le barème pour que cette personne ait un métier ? Comment ? Je dois accepter que cette personne enseigne à l'école primaire ? Mais, mais ...

Ce matin dans le journal je constate que la barre d'admissibilité au concours des professeurs de mathématiques a été dangereusement baissée faute de combattants.

Qui seront les enseignants de demain ?

Je suis désolée de dire que j'ai des stagiaires chaque année et que, là aussi, le niveau qui devrait être exigé n'est plus.

 

Qu'est-ce que l'école idéale ?

 

Une école dans laquelle enseignent des professeurs formés. Je ne plaisante pas ! Pas une école dans laquelle on jette le jeune enseignant dans la fosse aux lions. Pas une école dans laquelle on reçoit un enfant dyslexique en lui disant "désolé mon gars mais moi je ne suis pas formé pour t'aider" ou pire " Autrefois les gars en difficulté comme toi on les mettait au fond de la classe" ( oui, oui entendu récemment !).

Une école exigeante, rigoureuse, avec 6h de français pas semaine, autant de mathématiques et qui apprendrait à lire ( lire = comprendre un texte en le lisant), écrire ( structurer sa pensée), compter et mener un raisonnement mathématique.

Une école dans laquelle l'Histoire des arts serait une vraie discipline et non un fourre-tout selon le collège dans lequel on étudie.

Une école des langues , avec des labos de langue et plus d'oral que d'écrit, avec des échanges réguliers avec l'étranger.

Une école qui ne laisserait pas sur le chemin les enfants atteints de troubles de l'apprentissage ( des orthophonistes dans les établissements, mon rêve !)

Une école de la discipline avec un vrai cadre respecté par tous ( enfants comme adultes).

Une école du respect dans laquelle l'enseignant trouverait sa juste place et dans laquelle l'élève serait valorisé autour du travail, de l'investissement, de l'engagement.

 

Aujourd'hui les programmes sont pensés sur 4 cyclesLa première difficulté de cette organisation  c'est que les enseignants de Primaire et de collège vont devoir se concerter pour s'assurer la cohérence de l'enseignement dispensé. Sur quels horaires ? Avec quels moyens lorsque les écoles sont éloignées les unes des autres ? Quand on sait les difficultés que cela entraine dans la Maison, je ne donne pas cher des jeunes qui vont changer d'établissement en cours de route.

 

Voilà, propos désabusés, envie de créer une école indépendante, hors contrat ou de changer de métier... qui m'aime me suive ! 

 

 

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* je précise que le terme école englobe ici le Primaire et le collège

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