Une Nuit d'été, Chris Adrian

Une Nuit d'été, Chris Adrian, éditions Albin Michel, 2016, 445 pages

Traduit de l'anglais par Nathalie Bru

 

Genre : récit onirique

Thèmes : relations humaines , fées, elfes, amour, féérie, rupture, douleur

 

L'auteur en quelques mots ...

Né en 1970 à Washington, Chris Adrian est un écrivain américain, auteur de Un Ange meilleur paru en 2012. Salué en 2010 par The New Yorker, il apparait comme l'un des vingt meilleurs jeunes écrivains américains contemporains, lauréat de la fondation Guggenheim. Diplôme de médecine et spécialisé en pédiatrie, il exerce à Boston. On retrouve cette dimension dans son deuxième roman, l'Hôpital des enfants,une histoire d'apocalypse épique dans laquelle Dieu inonde le monde une seconde fois, épargnant seulement les occupants d'un hôpital pédiatrique.    Chris Adrian se situe au carrefour de la réalité et du surnaturel. La fraternité, la mortalité, la douleur de la perte, l'appartenance et la question même du sens de la vie sont au coeur de son oeuvre.

Merci aux éditions Albin Michel pour cette découverte.

 

 

L'histoire

 

" Un soir de la mi-juin, à San Francisco, trois êtres au coeur brisé s'engagèrent dans Buena Vista Park, à la même heure ou presque, juste après la tombée de la nuit".

​Tous se rendent à une soirée donnée par un certain Jordan pour célébrer le solstice d'été, et le connaissent plus ou moins. Henry est totalement perdu suite à sa séparation d'avec Bobby, ce dernier lui ayant clairement signifié qu'il n'attendait rien de cette relation. Peu sûr de lui, Henry a pour habitude d'endosser la souffrance et l'humiliation. Pourtant il voit en cette soirée une occasion de sortir de sa torpeur. Will, quant à lui, se rend à cette soirée alors que Carolina l'a quitté. Jordan est un ami commun mais il ne sait comment aborder l'entrevue. Redoutant de traverser le parc à cette heure avancée, il reste sur ses gardes. Plus loin, Molly entre aussi dans le parc mais se trompe de route. Suite au décès de son compagnon, Ryan, elle n'a que peu d'occasion de sortir en société et redoute, elle aussi, cet instant, l'apitoiement des autres convives qui ne manquera pas de s'exprimer. Pourtant c'est Jordan lui-même qui l'a invitée, ce dont elle devrait être flattée.

Au moment où chacun,perdu dans ses pensées, croit suivre le bon chemin, un étrange mot retentit dans tout le parc :"caniche". Qu'est-ce que cela signifie ? Et qui a prononcé ce mot ?

" Au sommet de la colline, juste au dessus du seuil des perceptions humaines ordinaires, une porte s'ouvrit dans la terre, laissant échapper une lumière aussi fine et chatoyante qu'un soleil automnal. (...) Des ombres venant du haut de la colline apparurent dans la lumière, suivies d'une ribambelle de personnages hétéroclites". Ce soir, Titania est la plus triste des reines car son compagnon Obéron a disparu . En libérant Puck, elle déchaine les forces de la natures, pour le meilleur ou pour le pire ...

 

En vrac et au fil des pages ...

Au départ,vous lirez sans doute ce roman comme une histoire de séparation, de perte d'un être cher. Vous redouterez néanmoins que ce parc n'abrite quelque détraqué surgissant d'un coin sombre et vous compatirez avec Molly, désormais seule, Henry qui ne s'assume pas, ou encore Will qui perd la tête. Pourtant, lorsque le second chapitre s'ouvrira, vous plongerez dans un tout autre monde, fait de féérie, d'elfes et de troll et vous vous demanderez comment l'auteur va s'y prendre pour faire cohabiter ces deux mondes totalement différents.

Alors vous imaginerez des scènes de rencontre, des traversées de monde ... C'est compter sans le petit côté déjanté de Chris Adrian pour qui rien ne va de soi dans ce monde. Partez du principe que tout peut arriver et vous percevrez déjà une dimension intéressante de l'oeuvre.

Les personnages que je viens de présenter ont tous pour point commun de vivre une étape importante de leur vie : une phase de reconstruction. Serait-ce leur état fébrile qui les rend réceptif à une nature étrange ? Ou bien est-ce le solstice d'été qui se révèle propice à des apparitions surnaturelles propres à entremêler les deux mondes ? A moins que la puissance de la soufrance de Titania ne soit responsable de cette inversion des mondes. Rappelons l'histoire de ce couple mythique : Obéron et Titania sont roi et reine des elfes et viennent de perdre un fils. Pas n'importe quel fils cependant, puisqu'il s'agit d'un enfant de mortel qu'Obéron avait offert à Titania. De cette perte nait une dispute qui entraine le départ d'Obéron.

Titania apparait alors comme un personnage complexe qui voulait un enfant sans en percevoir la réalité, puis expérimente la maternité, dans sa beauté et sa souffrance. C'est une sorte de naissance pour elle, ce qui explique la douleur liée à la perte. D'autant que l'auteur réinvestit ici un univers qu'il connait bien en décrivant la maladie de l'enfant qui l'emporte peu à peu. Chris Adrian nous livre alors des passages où les deux mondes se cotoient, les elfes se donnant une apparence humaine pour un temps, puis tomberont le masque lors du décès de l'enfant.

Le titre, le nom de quelques personnages , leur errance dans les bois, renvoient inévitablement à la pièce de Shakespeare.Cependant dans l'oeuvre de ce dernier, une potion donnée par Puck à la reine la fait tomber amoureuse du premier venu. Bien entendu, Obéron espère être celui-là, mais les choses ne se passent pas comme prévu et Titania tombe amoureuse de Bottom.

Rien de tout cela ici. La ressemblance avec l'oeuvre de Shakespeare s'arrête  aux personnages et à l'étrangeté de cette nuit dans la forêt. En effet, Chris Adrian laisse vagabonder son imagination, comme si chaque humain était drogué et ne percevait plus la réalité.

 Vous vous laisserez alors porter par l'histoire de chacun jusqu'à ce que tout s'embrouille dans un remue-ménage confus. Pas de normalité ici, nous ne sommes dans rien de connu, ou presque. 

C'est sans doute ce qui rend la lecture aléatoire car notre esprit veut à tout prix ordonner, comprendre. Or c'est le chaos qui est rentranscrit par l'écriture et anime les pages dans le roman Une Nuit d'été. Je pourrais comparer cela à un rêve dans lequel on ne peut rien contrôler et où des éléments ne collent pas ! Cela donne des situations cocasses comme Will qui se retrouve à moitié nu sans que cela semble choquer les autres, ou encore des dialogues qui se rapprochent du non-sens. Pourtant, à la fin du récit, l'amour, la souffrance se trouveront dépassés, transcendés et vous vous direz, comme moi, que l'on peut exprimer cela de bien des façons décidément !

 

J'ai très envie de découvrir un autre écrit de Chris Adrian pour comprendre son mécanisme d'écriture et ses inspirations. On peut dire que ce livre troublant ne laisse pas indifférent.

 

Merci aux éditions Albin Michel pour cette découverte.

 

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