photo de Julien Ribot

photo de Julien Ribot

Leiloona nous invite dans son atelier d'écriture, une photo de Julien Ribot, quelques mots ...

 

A vif

 

La rue dégouline d'un amour éphémère, gravé sur les arbres et à jamais apparent. Un tatouage indélébile que l'écorce meurtrie recouvrira au fil des ans, une cicatrice visible à la face du monde.

Mais qui les voit ? Qui regarde encore en passant sur la contre-allée, ces arbres abîmés, porteurs d'un amour d'un jour ? Un jour lumineux où la lame d'un couteau a découpé soigneusement, en prenant son temps ou au contraire avidement, à vif, la peau d'un platane, pour y laisser l'empreinte , le témoignage. Pour crier à la face du monde que l'on est enfin deux. Pour hurler sa joie adolescente de n'être plus seul, de faire partie de la masse des couples désormais officiels.

Inès et Jorge viennent-ils encore, comme en pèlerinage, se recueillir devant cet arbre lacéré par amour ? Ou bien leur duo s'est-il dilué, les rendant amnésiques, aveugles à l'entaille profonde et écœurante faite là.

La blessure a du mal à se refermer et, déjà, une autre suinte, plus fraîche. Hier soir, à la lueur d'un lampadaire, parce que les amours nocturnes sont audacieuses, un jeune homme a entamé la peau, essuyé la sève et est reparti, les doigts poisseux, fier de sa déclaration. Elle la verra en prenant le chemin du lycée et elle se dira que nul n'ignore plus désormais qu'ils sont un couple.

L'entreprise a sa part de mystère et seules les initiales s'affichent, laissant planer le doute. Un tag à vif qui ne sera jamais recouvert, nettoyé. Un tatouage sur la peau d'un autre, parce que la nôtre ne peut porter ce message que l'on espère éternel mais que l'on sent éphémère. Car que ferait-on après ? Après l'amour ? Après les larmes et l'abandon ? Dépecer les bras qui ont enlacé, bercé ?

J'ai toujours pensé que ces ressentiments n'appartenaient qu'aux autres, ne nous concernaient pas, ma bulle et moi. Naïveté semblable à celle qui nous pousse un jour à graver l'écorce d'un arbre.

Je changerai de route pour ne plus voir l'arbre écorcé, l'amour écorché.

Je partage avec cet autre vivant une sculpture à cœur.

 

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