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L'affaire chocolat, Haïm Gouri, éditions Denoel, coll Denoel et d'ailleurs, 2008, 156 pages

Genre :roman

Thèmes : antisémitisme, shoah, retrouvailles, deuil

 

 

L'histoire : Un voyageur descend d'un train, observé par un autre. Dans quelques minutes ils tomberont dans les bras l'un de l'autre. "Avant que les passants ne comprennent ce qui se passe,les deux inconnus tombent dans les bras l'un de l'autre, comme deux puissants lutteurs.Coulés dans un moule. Forment un bloc enlacé, pétrifié. Qu'on pourrait intituler "la rencontre".Difficile de savoir ce qui s'est passé, pourquoi le voyageur a l'air pensif et triste, pourquoi il est mal habillé, comment els deux hommes se connaissent. Ils se rendent pourtant ensemble à la soupe populaire et ne se quitteront plus. On apprend leurs noms, Robi et Mordi. Robi est le voyageur, à la recherche de sa famille, celle de l'avocat Salomon qu'il pense pouvoir retrouver dans cette ville dont on ne connait pas le nom et qui pourrait être n'importe quelle ville. Mordi semble plus défaitiste et ne parvient pas à envisager un avenir serein. Mais que leur est-il arrivé ? Des bribes nous sont données et l'on devine l'univers d'après guerre: "On entend, on entendait il y a une semaine, une section de soldats bottés, casqués, en tenue kaki jaunâtre, défiler en chantant à trois voix(...) La rue est déserte à cause de l'heure tardive et de ces soldats. Ils ont des poitrines couvertes de médailles, pour les actes héroiques, les libérations et la mort."  Ils semblent hors du temps et l'on passe d'un jour à l'autre puis le narrateur nous plonge dans le passé. Nos deux personnages sont juifs et revenus de l'horreur. Robi dont on apprend qu'il a été caché et a pu échapper aux camps,  envisage un acte héroique afin de repartir du bon pied et faire fortune, "Je veux faire un grand bond et partir ailleurs.Continuer de marcher.Leur montrer. Je continue de vivre. Tu vois. Je ne suis pas mort. On ne m'a pas volé mon nom'. Il sauve alors d'un incendie la fille d'un haut fonctionnaire. Mordi, lui , sombre lentement et fini par se suicider. Robi découvre alors que son compagnon savait. Il savait que des hommes étaient venus chercher la famille Salomon et qu'elle n'était jamais revenue. Il disait que l'acte de saunetage de Robi était "une tromperie qui consiste à sauver un seul être pour se racheter d'un crime permanent perpétré contre un grand nombre".Au même moment son compagnon met en place un plan diabolique visant à assurer son avenir : l'affaire chocolat. "Commence la guérison effective qui exige une certaine patience. (...) Ensuite les trains aussi reprennent leurs habitudes. les chefs de gare ressortent et se mettent en silence au garde à vous". Robi continuera pour son ami, pour tous ceux qui ne sont pas revenus, pour la Mémoire.

 

En vrac et au fil des pages : si ce n'était la forme romanesque j'aurais pu penser lire du Beckett ! Le style épuré, les situations qui tournent à l'absurde comme cette recherche sans cesse remise au lendemain de la famille de Robi, les répétitions de termes, d'expressions comme si les personnages ne s'entendaient pas ou comme si l'auteur voulait souligner la folie qui les ronge peu à peu. Tout est réuni pour faire de ce lieu un univers Beckettien.

Une "époque crépusculaire, entre deux ères" confirme la perte de repères mais aussi la volonté de ne pas ancrer l'histoire dans une ville reconnaissable, car ce pourrait être n'importe quelle ville. Ainsi ce sont les personnages qui importent. Et là encore, Beckett apparait en filigrane dans ma lecture lorsque je découvre les surnoms Robi et Mordi. Beckett travaillait les prénoms de façon à les prédestiner en quelques sortes, alors pourquoi pas Mordi, mort ...

Evidemment la lecture n'est pas facilitée et il faut lire entre les lignes, aller chercher sous le manque d'information ce qui reste d'humanité chez ces deux êtres qui sont en fait deux facettes de l'après deuxième guerre mondiale : celui qui veut s'en sortir, tenter d'oublier ou du moins d'effacer et celui qui ne le peut pas, qui lâche prise.

On ne peut qu'être touchés par cette histoire d'amitié, de solidarité, par ce que l'on devine sous l'abattement, l'horreur de la guerre.

 

J'avoue avoir craint en découvrant ce livre une énième histoire sur la shoah ( et oui je suis un peu sensible !). Mais Haïm Gouri , par une écriture tout en délicatesse et sous entendus, ne décrit pas Auchwitz. Il montre comment l'on en revient, ce que peut être la vie après la guerre. Mais c'est aussi un travail journalistique qui l'a amené à l'écriture de ce roman car l'affaire chocolat est un épisode réel dont il s'est inspiré "On raconte qu'à cette époque l'armée américaine avait déversé de grandes quantités de chocolat sur le marché privé affamé. La marchandise avait été raflée ! Un réfugié s'était servi de ses relations pour répandre la rumeur que ce chocolat militaire contenait une sustance apaisante qui réfrénait temporairement les pulsions des soldats (...) Desmontagnes de chocolat dont personne ne voulait s'étaient accumulées sur le marché. L'homme en question avait acheté le sctock pour une bouchée de pain" puis avait démenti la rumeur et fait fortune ! . Il en fait une fiction après avoir passé, tel le journaliste d'investigation qu'il est, du temps avec ces rescapés, en Europe.

 

Un beau roman.

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