Juste avant l'oubli, Alice Zeniter

Juste avant l'oubli, Alice Zeniter, éditions Albin Michel, 2015, 285 pages

Genre : roman

Thèmes : écrivain, polar, Hébrides, amour, solitude, isolement, crime, séduction

 

L'auteur en quelques mots ...

J'ai eu le plaisir de lire Sombre Dimanche et de présenter Alice Zeniter par ici.

 

L'histoire :

" Est-ce que la fleur que nous appelons rose, sous un autre nom, sentirait aussi bon ?" demanda un jour le fragile professeur d'anglais qui peinait à les initier à Shakespeare. (...) Franck, lui, comprenanit instinctivement l'interrogation du poète. Et il y avait déjà répondu : non bien sûr que non. Si les roses s'appelaient Franck on ne leur parlerait pas tant de leur parfum." , lui qui déteste plus que tout son prénom.

Infirmier il consacre sa vie aux autres et, à ceux qui lui demandent pourquoi il n'est pas allé jusqu'à être médecin, il répond calmement que c'est par choix. Touché par son métier, ses patients, il évacue le stress en regardant des comédies romantiques, des dessins animés, tout ce qui ne rappelle pas ce monde qu'il ne comprend pas, dans lequel des jeunes de 19 ans meurent chaque jour.

Emilie compatit. Emilie le comprend, elle qui termine sa thèse sur Galwin Donnell, "le pape de la cruauté", auteur de polar qui prend de plus en plus de place dans sa vie. A corps perdu, elle se jette sur les traces de cet homme incompréhensible, irrascible, qui vivait reclus sur l'ile de Mirhalay, au coeur des Hébrides.

Une séparation que Franck redoute. C'est pourquoi il embarque sur ce bateau, fermement décidé à avouer à Emilie ses sentiments, ses projets d'avenir avec elle.

C'est pourtant un tout autre voyage qui s'annonce, la découverte d'une île à l'histoire inquiétante, peuplée de touristes érudits venant en pélerinage adorer l'écrivain décédé dans des circonstances douteuses, persuadés pour certains de le rencontrer sur une plage, bien vivant. Habitée par un étrange gardien désabusé, rendu taciturne par une vie d'isolement forcé aux côtés d'un homme autoritaire.

"Pendant une vingtaine d'année - période que l'on désignerait par la suite sous le nom d'Oubli - l'île ne fut qu'un territoire offert aux bêtes (...) Il fallait être Galwin Donnell, cet animal de force et de solitude, pour vouloir accomplir en sens inverse le chemin de la déréliction et ramener la vie à Mirhalay".

 

En vrac et au fil des pages ...

Alice Zeniter sait faire entrer le lecteur dans la tête de ses personnages, exploiter leur solitude, leurs angoisses et souligner leur fusion avec le monde. A mon sens c'est ce qu'elle fait le mieux et qui définit sa patte : peindre les âmes.

Pour Franck, quel autre lieu pour répondre à son isolement que cette île reculée, chargée d'une histoire trouble, sur laquelle il espère retrouver celle qu'il l'aime, la reconquérir.

On est touché par cet homme, l'écart qui se creuse avec Emilie, toute à sa thèse, la distance qui s'installe entre le monde littéraire des conférenciers et la vie proche de l'humain de l'infirmier.

Les paysages donnés à voir sont  sauvages et forts. C'est pourquoi l'on n'est pas étonné de l'attitude de ce gardien, seul, rustre, qui semble trouver en Franck un allié, une bouée. personne ne dit ce qu'il ressent réellement et se laisse porter par les vents, les vagues.

Souvent la proximité avec des animaux sauvages, parachève le portrait de personnages tourmentés : l'un achevant l'animal blessé, conscient que cette vie n'en est pas une, l'autre cherchant à tout prix à sauver la vie.

On comprend aussi, bien qu'on la critique, l'attitude d'Emilie, plongée dans sa thèse comme dans une fugue, un travail qui va volontairement l'occuper longtemps pour ne pas envisager plus loin sa vie avec Franck. Je sais combien , lorsqu'on est plongé dans une recherche passionnante, on en oublie nos proches parfois, on ne vit plus qu'à travers cela.

Le choc se produira donc. L'auteur décortique les relations humaines, les petits défauts que nous connaissons tous ( si je fais ceci pour mon conjoint alors il aura une dette envers moi, sacrifice vaut récompense !) .

La particularité de ce roman est de nous pousser à vouloir connaitre cet auteur, Galwin Donnell, dont l'univers particulier intrigue. Divorcé, reclus sur un île, ensencé par la critique malgré l'ambiance destructrice de ses polars. Fort à parier que vous chercherez vous aussi à en savoir plus sur lui sitôt le livre d'Alice Zeniter refermé.

Coup de coeur de la rentrée littéraire 2015

 

 

 

Retour à l'accueil