Trois jours et une vie, Pierre Lemaitre

Trois jours et une vie, Pierre Lemaitre, éditions Albin Michel, 2016, 282 pages

Genre : thriller psychologique

Thèmes : enfance, deuil, meurtre, adolescence, tempête

 

L'auteur en quelques mots ...

Une belle chronique de Macha Séry pour présenter l'auteur : ICI

 

Pierre Lemaitre a passé sa jeunesse entre Aubervilliers et Drancy auprès de parents employés.

Psychologue de formation, il a fait une grande partie de sa carrière dans la formation professionnelle des adultes, leur enseignant la communication, la culture générale ou animant des cycles d'enseignement de la littérature à destination de bibliothécaires. Il se consacre ensuite à l'écriture, en tant que romancier et scénariste, vivant de sa plume depuis 2006. Ses romans sont traduits ou en cours de traduction en trente langues.

Pierre Lemaitre considère lui-même son travail comme un permanent « exercice d'admiration de la littérature ». Ainsi, dès son premier roman Travail soigné, il rend hommage à ses maîtres en faisant, de l’œuvre de ces écrivains, des protagonistes de son intrigue : Bret Easton Ellis, Émile Gaboriau, James Ellroy, William McIlvanney, etc.

Son deuxième roman publié en 2009, Robe de marié, exercice explicite d'admiration de l'art hitchcockien, raconte l'histoire de Sophie, une trentenaire démente, qui devient une criminelle en série sans jamais se souvenir de ses meurtres.

Lemaitre aborde ensuite le thriller social avec Cadres noirs, en 2010, qui met en scène un cadre au chômage qui accepte de participer à un jeu de rôle en forme de prise d'otages. Le livre est inspiré d'un fait divers réel survenu en 2005 à France Télévisions Publicité5 dirigée à l'époque par Philippe Santini, et pour lequel cette entreprise a été condamnée par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 7 avril 2016.

Alex, quatrième roman, joue sur l'identification, moteur du thriller : l'héroïne y est tour à tour victime et meurtrière jusqu'à la conclusion qui retourne une nouvelle fois la compréhension que le lecteur peut avoir du personnage. Là encore, on trouve, d'Aragon à Proust en passant par Roland Barthes, John Harvey ou Boris Pasternak, quelques citations ou influences que l'auteur signale explicitement.

Les Grands Moyens, feuilleton numérique, est une enquête de Camille Verhœven, en marge de la trilogie commencée avec Travail soigné, poursuivie avec Alex et achevée avec Sacrifices (2012) qui voit la conclusion de la destinée du héros. Confirmant dans une interview son attachement à Alexandre Dumas, Pierre Lemaitre a ajouté un quatrième volet à sa « Trilogie Verhœven » (à l'image des Trois Mousquetaires qui, en fait, étaient quatre) : Rosy & John est la novélisation de son feuilleton numérique Les Grands Moyens.

Il est internationalement reconnu dans le domaine du roman policier : Stephen King lui-même le considère comme « a really excellent suspense novelist ».

En août 2013, Au revoir là-haut, marque, dans son œuvre, un important changement puisqu'il signe, cette fois, un roman picaresque (et non historique). Délaissant le genre policier, Lemaitre reste néanmoins fidèle à l'esprit de ses premiers romans puisqu'il cite plusieurs auteurs (d'Émile Ajar à Stephen Crane et de Victor Hugo à La Rochefoucauld) qu'il salue dans ses remerciements avec, notamment, un hommage appuyé à Louis Guilloux et Carson McCullers. En novembre 2013, le roman reçoit le prix Goncourt. Il est classé en tête par l'Express dans sa liste des best-sellers de l'année 2013.

En 2016, Lemaitre renoue avec le roman noir avec Trois jours et une vie qui raconte la destinée d'un jeune assassin de 12 ans.

Merci aux éditions Albin Michel pour cette découverte

L'histoire

 

"A la fin de décembre 1999 une surprenante série d'événements tragiques s'abattit sur Beauval, au premier rang desquels, bien sûr, la disparition du petit Rémi Desmedt (...) Pour Antoine, qui fut au centre de ce drame, tout commença par la mort du chien. Ulysse."

Antoine a alors 12 ans et aime par dessus tout s'isoler au coeur de la forêt pour y construire des cabanes. Ses amis, Théo le fils du Maire, Kévin et la belle Emilie, préfèrent, eux, jouer à la playstation et restent enfermés des heures durant.

Bien sûr, Antoine a bien essayé de se lier aux autres, mais sa mère pense que les jeux vidéo abrutissent le cerveau. "Six ans plus tôt, le père d'Antoine avait profité d'un changement de situation pour effectuer un changement de femme", c'est donc sur elle que repose l'autorité.

Pour autant Antoine n'est pas seul, Ulysse, le chien des Desmedt et leur fils Rémi, âgé de six ans, le rejoignent régulièrement et apprécient la cabane construite.

Mais le jour où un accident fauche Ulysse sur la route, la vie d'Antoine bascule. Le chauffard ne s'arrête pas et M Desmedt, dans un geste vif, abat le chien souffrant, sous les yeux médusés des enfants. Un geste fou que l'adolescent ne peut comprendre, qu'il n'a pas eu le temps de préparer, d'accepter. La rage s'empare alors d'Antoine, pour qui cela ne peut être que l'oeuvre d'un monstre. "Pourquoi il a fait ça ton père !" hurle-t-il au petit Rémi.

L'enfant le regarde ,les yeux écarquillés, mais il est déjà trop tard. Antoine n'est plus lui-même lorsqu'il attrape le bâton à deux mains et frappe.

Deux jours plus tard, une terrible tempête s'abat sur la région, laissant la ville de Beauval dévastée. Nous sommes ne 1999 et les dommages individuels prennent le pas sur le désespoir d'une famille qui ne sait où est passé son petit garçon ...

 

En vrac et au fil des pages ...

Quelle histoire ! Dès le départ, l'auteur nous plonge au coeur d'un drame dont on sait qu'on ne se relèvera pas. Il touche des enfants, ce qui le rend à la fois cruel, déplacé et poignant.

Pourtant l'écriture de Pierre Lemaitre, dès la première page, tourne en dérision ce qui nous est montré : une ville où chacun vit au contact des autres, sait tout et rien sur les voisins, où les rumeurs s'enflamment à la vitesse d'une trainée de poudre. Dans ce contexte, le regard d'un adolescent de 12 ans ne peut être celui d'un adulte et sa vie se résume à ce qu'il vit, ressent, avec force.

Pourtant ,lorsque le petit Rémi est assassiné par son camarade, on ne peut s'empêcher d'avoir un noeud à l'estomac : Antoine masquera-t-il ce meurtre toute sa vie ? Ne découvrira-t-on pas ce qui s'est passé ? Ne rendra-t-on pas le corps à,sa famille ? 

On s'attache ici à la vision d'Antoine et la douleur de la famille Desmedt est une toile de fond au travail psychologique qui gagne du terrain, d'heure en heure, pousse Antoine à la fuite, puis le contraint à rester ... jusqu'à cette tempête qui apparait comme le signe que son secret sera bien gardé.

L'écriture est forte car on vit réellement le dilemne d'Antoine, son mal être, son questionnement. Le lecteur ne peut le laisser impuni, et pourtant on souffre avec lui.

La seconde partie du roman nous entraine des années plus tard, pour retrouver un Antoine adulte, devenu médecin, mais dont la vie est un tourbillon : pas d'attachement, un éloignement volontaire de ses racines. On sait que tout va ressortir à un moment donné mais on ne s'attend pas à cette fin. Revenir sur les lieux du crime le renvoie à son passé, son secret, ses amours aussi lorsque la belle Emilie refait surface et le place face à ses contradictions.

En fin de compte, le salut ne viendra pas et l'on pense irrémédiablement à une vie gâchée, tourmentée.

J'ai lu des critiques négatives sur ce récit, notamment concernant la seconde partie du roman. C'est, de mon point de vue, le décalage entre les deux parties ( la première, vive, troublée de l'adolescence, du mal être et la seconde plus détachée) qui fait que le lecteur se sent lâché alors que l'auteur l'accompagnait dès le début par une écriture incisive, teintée d'humour. Pourtant la fin du récit signale une maturité enfin acquise, Antoine est contraint à faire un choix, à assumer, c'est aussi une forme de rédemption même si on peut le trouver d'une grande lâcheté dans ses actes.

Pour moi il s'agit d'un récit psychologique et non d'un roman policier. Je l'ai trouvé assez bon, bien mené et j'ai apprécié que le détachement coloré d'humour ne perdure pas dans tout le récit car cela n'aurait pas été crédible en regard de l'adulte qu'est devenu le personnage.

A découvrir et cela m'a donné envie de lire Au revoir là-haut dont on vante l'écriture.

 

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