Naufrages, Akira Yoshimura

Naufrages, Akira Yoshimura, éditions Babel, 2004, 192 pages

Genre : récit court contemporain

Thèmes : enfance, tradition, mort, deuil, famille, survie

Traduit par Rose-Marie Makino-Fayolle

L'auteur en quelques mots ...

Né en 1927 à Tokyo, Akira Yoshimura est un auteur japonais de romans et nouvelles. 

Né dans le quartier populaire de Nippori à Tokyo, il est issu d'une famille assez aisée de dix enfants. Adolescent à la fin de la guerre, il perd son frère dans les combats en Chine.

Ses romans s'inspirent de légendes japonaises ("Naufrages") ou bien encore de faits divers souvent liés à la Seconde Guerre mondiale ("La guerre des jours lointains"). 
Son style d'écriture est souvent assez sombre et d'une grande précision.
Lorsqu'il écrit des romans historiques, il se déplace pour recueillir des témoignages, non seulement sur les faits, mais aussi les ambiances, et les sentiments. Il se base aussi sur des dossiers d'enquêtes très précises et des ouvrages de médecine.

La nouvelle "Liberté conditionnelle", inspirée de la vie de Yoshie Shiratori, a servi de base au film "L'Anguille" (1997) de Shōhei Imamura, qui a obtenu la Palme d'Or au Festival de Cannes, ex aequo avec le "Goût de la cerise" d'Abbas Kiarostami..

Il est Lauréat du Prix Dazai en 1966 pour "Voyage vers les étoiles" et le prix Yumiuri en 1984 pour "Liberté conditionnelle". Il fut Président de l'union des écrivains japonais.

Il était l'époux de l'écrivain Setsuko Tsumura (1928). (source Babelio)

 

L'histoire :

Dans un bourg de pêcheur, vit et grandit Isaku, un jeune garçon observateur qui essaie de comprendre ce qui l'entoure, la vie de son entourage, les traditions qu'il ne comprend pas toujours. Âgé de neuf ans, il a vu partir son père et espère son retour. Sa mère, femme taciturne et sévère, semble perdre peu à peu confiance en ce retour et élève seule ses trois enfants. Il est courant qu'en période difficile, hommes ou femmes aillent se vendre dans le village voisin ou plus loin encore, derrière la montagne,sans garantie de retour, mais pour une période de quelques années, afin de permettre la survie de la famille.

Il faut dire que la vie est rude en ce territoire reculé. Les habitants y vivent de la pêche, de la cueillette et d'une source de richesse surprenante qu'Isaku ne va pas tarder à découvrir. Longtemps il s'est interrogé sur la provenance de ces objets insolites que sa mère conservait sans les utiliser, sur le rituel de la cuisson du sel sur la plage,les soirs de tempêtes. Aussi lorsque le chef du village le convoque pour le proclamer gardien des chaudrons lors de cette tradition, Isaku comprend et fait le lien avec ce qu'il a vu, entendu jusqu'alors sans le comprendre. Les villageois s'organisent pour attirer vers la côte les navires marchands chargés de vivres, d'épices, qui sont dépecés pour leur bois et permettent au village de subsister plusieurs années. Pratique illégale et pourtant nécessaire et bienvenue, ce rituel vaut au bourg la visite d'enquêteurs, ce qui met le village en émoi.

Entré désormais dans l'adolescence, Isaku apprend à devenir un homme, observe l'évolution de ses camarades, les mariages, la solitude de certaines familles dont un membre est parti, la survie, et participe, au fil des saisons, au travail collectif et solidaire, espérant avoir la chance de vivre un jour le naufrage d'un de ces navires tant attendu.

Pourtant, lorsqu'arrive cet événement, c'est la mort qui survient avec le bateau...

En vrac et au fil des pages ...

Voici un court récit qui nous plonge au coeur d'une contrée inconnue mais reculée, au sein d'une communauté qui s'est organisée pour survivre, transmettant des traditions ancestrales au enfants. On y découvre une vie rude, où chacun joue un rôle précis autour du chef de village, les plus âgés comme les plus jeunes.

Chaque famille, ou presque, a vu partir un homme ou une femme, au-delà de la montagne, pour trouver un travail et permettre à la famille de survivre. Certes, c'est une bouche de moins à nourrir, mais il faut prendre la relève, ce que va faire Isaku, désormais en âge d'apprendre les gestes du pêcheur, de la cuisson du sel, de la récolte d'écorce...etc.

Récit initiatique, l'histoire nous conduit, à travers le regard naif d'Isaku, à découvrir les traditions et rituels de cette communauté, au fil des saisons. C'est probablement ce qui est le mieux retranscrit dans ces pages, l'harmonie entre l'activité humaine et les changements de la nature, en toute poésie. Les couleurs changeantes annonciatrices de bouleversements contrastent avec la rudesse de la vie en bord de mer. Car alors que l'on pourrait penser à l'océan comme une manne, les périodes de famines ne sont pas rares. Dans ce cas, les habitants se livrent à une coutume surprenante dont le lecteur va bientôt comprendre le sens.

Par mauvais temps, les feux allumés sur la plage servent à attirer les navires qui viendront s'échouer. On passe alors sous silence ce qu'il advient des malheureux naufragés. Ils sont tués car aucune trace ne doit mener les enquêteurs vers le village. Mais cela ne constitue pour personne une offense, la dureté de la vie en cette terre justifiant les moyens déployés. Aussitôt les vivres sont répartis dans les maisons, cachés et consommés sur plusieurs années, gage de survie. Cela arrive malgré tout rarement et Isaku n'a jamais connu un tel épisode, jusqu'au moment où, entré dans l'adolescence et donc capable d'être intronisé membre à part entière de la tribu, il est amené à vivre l'événement, le village en ébullition, la répartition des richesses, la profusion soudaine qu'il faudra économiser...

L'adolescence étant la période des grands bouleversements, Isaku s'interroge également sur la sexualité, le mariage, les liens qui unissent les uns et les autres. Observateur, il ose poser des questions à un camarade plus âgé et devient lui-même un passeur de savoir pour son frère.

Le lecteur suit l'évolution du jeune garçon au rythme lent des saisons, mais cela ne freine pas le récit car nous sommes dans l'attente d'un de ces naufrages et pressentons que le pire est à venir. Lorsqu'un navire se présente, avec à son bord des cadavres vêtus de rouge, les habitants de ce village reculé ne peuvent imaginer ce qui va survenir, ignorant d'autres traditions venues de loin. Seuls les ancêtres, mémoire de l'Histoire, peuvent les prévenir...

Je vous recommande ce court récit à la plume sensible et précise, à la fois sombre et poétique, qui nous transporte dans un autre temps, dans un Japon primitif où les traditions et la survie sont plus importants que les lois d'outre-monde.

 

 

Retour à l'accueil