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Certaines n'avaient jamais vu la mer, Julie otsuka, éditions 10/18, 143 pages

Genre : récit historique

Thèmes : immigration, mariage par procuration, Japon, Etats-Unis, exil

 

L'auteur en quelques mots ...

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Née en 1962 en Californie, Julie Otsuka est une auteur américaine d'origine japonaise. Après des études à Yale et Columbia, elle a été révélée sur la scène littéraire en 2002 avec son premier roman «Quand l’empereur était un dieu», une évocation des camps où 110.000 citoyens américains d’origine japonaise ont été internés aux Etats-Unis après l'attaque de Pearl Harbour. «Certaines n'avaient jamais vu la mer» a confirmé son statut, lui valant le très prestigieux PEN/Faulkner Award en 2011.


L'histoire:

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Jeunes 'picture brides' à leur arrivée à l'immigration aux USA. Immigration station, Angel Island, California, 25 juillet 1920.

La traversée qui mène ces jeunes femmes du japon aux Etats-Unis est longue. En ce début de XX°S elles partent avec l'idée d'un monde meilleur, d'une nouvelle vie qui leur permettrait de s'épanouir auprès d'un mari aimant. Car elles sont mariées, par procuration et ne savent de leur époux que quelques bribes, confiées dans une correspondance qui va se révéler mensongère. Tout au long de la traversée les questions les assaillent : où vont-elles vivre ? Comment est leur mari ? Correspond-il à cette photo reçu il y a peu ? Que sera l'intimité avec eux ? Elles sont jeunes et n'ont encore rien vécu. Vendues par leurs parents parce qu'elles n'étaient pas les ainées , "Nous rêvions aussi de nos soeurs plus âgées, plus jolies, que nos pères avaient vendues comme geishas pour nourrir le reste de la famille...'  , parce que le besoin d'argent était plus fort.

Le réveil est brutal et, sitôt débarquées, les jeunes femmes réalisent la tromperie." Sur le bateau, nous ne pouvions imaginer (....) que les portraits envoyés dans les enveloppes dataient de vingt ans. Que les lettres qu'ils nous avaient adressées avaient été rédigées par d'autres (...) Nous voilà en Amérique, nous dirions-nous, il n'y a pas à s'inquiéter. Et nous aurions tort." Car elles seront pour la plupart femmes de fermier et devront travailler aux champs, d'exploitation en exploitation, suivant leur mari désireux d'avoir une main d'oeuvre gratuite pour les seconder. Certains les aimeront, d'autres seront maladroits, d'autres encore violents.

Pourtant une affection va attacher certaines d'entre elles à l'homme qui leur a été attribué. D'autres préfèreront en finir. Exilées, la pensée de leur pays les remplit d'émotion, de sentiments ambigus. Se taire et travailler, assumer. "L'une des nôtres les rendait responsables de tout et souhaitait qu'ils meurent. L'une des nôtres les rendait responsables de tout et souhaitait mourir".

Puis vient le temps des enfants. Une bouche à nourrir, un espoir ? Cette génération qui ne comprendra pas ses parents et qui reniera ses origines , subira à son tour le regard mauvais, la honte. "Ils voulaient des mères différentes, meilleures, qui n'aient pas l'air aussi usées (...) et chaque jour qui passait semblait les arracher un peu plus à notre emprise"Et alors que certaines travaillent dans de grandes maisons comme domestiques, ou s'occupent d'enfants qui ne sont pas les leurs et servent les blancs, la peur va s'emparer de la population qui ne va plus voir dans les japonais expatriès qu'une menace.

C'est l'ère des camps, de la guerre, de l'internement des hommes soupçonnés d'espionnage..." On parlait d'une liste. De gens enlevés au milieu de la nuit (...) On disait  que les hommes étaient mis dans des trains et qu'on les envoyait au loin, dans les montagnes, dans les régions les plus froides du pays".


En vrac et au fil des pages ...

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Quel beau récit ! Par sa construction tout d'abord qui lie entre elles ces femmes au destin commun, cette pluralité de voix qui se font écho et racontent l'espoir, la déception, la violence, le travail, l'exil, l'enfantement ... Le récit est développé en cinq temps : la traversée, l'arrivée et le désenchantement, le travail, l'enfantement, l'internement.

Elle sont des centaines, toutes avec leurs particularités et pourtant Julie otsuka a choisi de les présenter en un "nous" commun afin de souligner , malgré les kilomètres qui les séparent, les vies différentes, une union dans la douleur. Dociles, préparées à un choc des cultures, espérant une vie meilleure, elles assument pour la plupart ce voyage, le choix de leurs parents. Pourtant, ça et là, on entend la voix particulière de celles qui n'ont pu suivre la voie , les déçues, les abandonnées, celles qui ont fui.

C'est ce qui est curieux dans la narration, cette façon si particulière de donner à voir un ensemble et en même temps de raconter des individualités. Les indéfinis "certaines", "d'autres", "quelques unes" ... donnent l'impression qu'elles n'ont qu'un visage. L'espoir est cependant toujours présent : certaines ont été aimées, d'autres ont aimé, certaines ont cru en la maternité. Jusqu'au bout elles ne parviennent pas vraiment à croire qu'on les ait amenées ici pour leur donner cette vie, les renier.

Mais le choc des cultures est la clé de tout et le regard que l'on porte sur ces japonaises, puis sur leurs enfants, en dit long sur le racisme. Réputées dociles elles sont comparées aux autres immigrées (chinoises, philippines, coréennes). Pourtant lorsque la peur s'installe dans la population américaine, ces mêmes personnes que l'ont était allées chercher sont envoyées dans des camps : incompréhension, espoir, peur ... toute la palette des émotions est exploitée dans ce court récit, dense.

C'est que le fond historique ,qui n'est jamais clairement explicité, donne au lecteur la clé de l'ouvrage. La narration se fait interne, par le regard de ces femmes. La narration élude volontairement les détails politiques car ces femmes ne savent pas réellement ce qui se passe autour d'elles. Le lecteur comble les vide et sait, lui, que la seconde guerre mondiale a généré des peurs au sein de la population, que les médias ont véhiculé la haine du japonais à la solde de Hiro hito, qu'une paranoia s'est peu à peu installée. Le récit propose , à l'échelle d'une vie d'homme, un pan de l'histoire des Etats-Unis, une vision de la relation aux immigrés asiatiques. 1942 : 110.000 civils sont déportés, suite à l'attaque de Pearl Harbor. S'installe le mythe de la cinquième colonne, de l'ennemi tapi au sein de la population. Même les japonais naturalisés sont arrêtés. Parmi les internés, 62% étaient des japonais de seconde génération ... ils ne seront libérés qu'en  1944.

 

chroniques de copinautes :

Achille 

Jérôme

 

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